« Matinee », un film entre dérision et désillusion dont vous n’avez jamais entendu parler
Matinee est un film comique américain sorti en 1993. Bien que son titre français, Panic sur Florida Beach, semble plus parlant, « a matinee » signifie en réalité en anglais un évènement, un spectacle tenu en public.
Son réalisateur, Joe Dante, a eu un début de carrière tonitruant. Se faisant d’abord remarquer dans le genre de l’horreur avec Piranhas et Hurlements, tous deux sortis dans les années 80, il travaillera ensuite avec Steven Spielberg, qui finira par lui confier la réalisation de l’internationalement connu Gremlins en 1985, scénarisé par Chris Colombus. Cependant, après avoir essuyé plusieurs refus de studios de production, rencontré peu de succès avec L’aventure intérieure, Les banlieusards ainsi que Gremlins 2, et avoir été délaissé comme choix pour la réalisation de films comme Batman (1989) ou Jurassic Park, celui-ci va petit à petit sombrer dans l’oubli. C’est durant cette période incertaine pour Dante que sort Matinee, qui n’échappera pas à la malédiction des fiascos critiques et des échecs commerciaux.
Un comédie distrayante ancrée dans une époque
Dans Matinee, Joe Dante, alors au sortir de la guerre froide, invite le spectateur à revenir sur l’un de ses évènements notables, à savoir la Crise des missiles de Cuba. Moment clé du 20e siècle, ces 14 jours de face à face entre États-Unis et URSS, durant lesquels le monde entier a retenu son souffle, ont été synonymes d’un moment où l’Humanité est passée au plus proche de la guerre nucléaire, et ainsi au plus proche de sa destruction certaine.
Le film suit les mésaventures de plusieurs adolescents dans la ville de Key West, en Floride. Tandis que les habitants se pressent au supermarché afin de faire des provisions pour l’hiver nucléaire qui s’annonce, et que l’école effectue un énième exercice de prévention atomique, ceux-ci s’extasient devant la promotion d’un film d’horreur dont la sortie est prévue prochainement, et se lient d’amitié avec son réalisateur aussi visionnaire que démagogue.
Car c’est également la période d’anxiété fiévreuse précédant et suivant la crise de Cuba qui restera marquante dans l’histoire des États-Unis. Une forme de fatalisme est née de ces années où le danger d’une détonation atomique semblait omniprésent et inévitable, et cet état d’esprit est représenté – non sans humour – dans le film.
Outre la panique de l’un des membres du personnel du cinéma, ayant construit un abri anti-atomique sous le bâtiment, le personnage de Lawrence Woosley, réalisateur de films d’horreur de série B, utilise la peur de l’arme nucléaire à laquelle la population est en proie pour mettre en scène l’acte final de son film. Celui-ci, qui durant toute la projection n’avait cessé d’user de nombreux effets pratiques douteux pour surprendre et effrayer son public (tels que des jets de flammes ou des costumes horribles), finit par simuler la réelle explosion d’une bombe atomique, détruisant l’écran du cinéma. Or, tandis que le public n’y prête pas attention, trop occupé à s’enfuir après que l’étage du dessus s’est accidentellement écroulé, c’est au spectateur du film de s’interroger si oui ou non il a bel et bien affaire à une uchronie, où la Crise de Cuba ne se serait pas soldée pacifiquement et où une bombe atomique aurait finalement été larguée sur les États-Unis.
Une satire du réalisateur sur sa propre identité cinématographique
Dans ce film dont le genre peu défini se situerait à la frontière entre comédie et drame romantique, Joe Dante met en scène différents personnages hauts en couleurs et riches en stéréotypes pour former une allégorie bruyante. En passant de la bande de lycéens en quête d’amour, revisitant par la même occasion le genre de la comédie romantique pour adolescents, au délinquant déscolarisé à la coupe banane caractéristique des années 60, Dante dresse un portrait satirique de la société américaine de cette époque, ainsi que des archétypes de personnages des films qui lui sont propres.
Mais Dante met également en scène son propre personnage à travers le réalisateur de films comiques et d’horreur de série B « Lawrence Woosley », ne rencontrant par ailleurs pas beaucoup de succès (il est confondu avec Hitchcock par un passant dans une scène comique).
Car de cette génération de réalisateurs américains entre horreur et science-fiction dont ont émergé un certain Spielberg ou Lucas, d’autres, comme John Carpenter (Halloween, The Thing) ou Joe Dante, n’ont pas eu la chance de pouvoir se maintenir sous les feux des projecteurs et ont rapidement sombré dans l’oubli, à coups d‘échecs commerciaux et critiques.
C’est pourquoi Matinee, symbole même de ces films passés sous les radars lors de leur sortie mais redécouverts des années plus tard par les cinéphiles, est plaisant à découvrir à la fois pour son aspect divertissant jouant sur les clichés hollywoodiens que pour sa satire grinçante d’un monde révolu.
Lucas Micolier / S7FRD / EEB1 Uccle