Lire ou relire la trilogie romanesque de Philippe Claudel

Les trois romans de Claudel, Les Âmes grises, La petite fille de Monsieur Linh, et Le Rapport de Brodeck, forment une trilogie d’histoires mystérieuses et tragiques en temps de guerres. En utilisant des styles de narration très similaires, les thèmes de l’étranger, l’importance de l’enfant, la solitude et le mystère sont récurrents dans ces livres. Ce sont donc des romans fortement reliés les uns aux autres, mais aussi à la vie de Claudel lui-même.

En écrivant les trois histoires d’un point de vue très émotionnel, Claudel crée à chaque fois une imposante atmosphère mystérieuse. Par exemple, la perspective d’un narrateur dans Le Rapport de Brodeck et Les Âmes grises est presque autobiographique, ce qui rapporte le lecteur à une réalité lourde et mystérieuse pendant les nombreux retours en arrière dans le temps, ce qui ralentit le l’histoire de manière à brouiller certains détails. Le roman La petite fille de Monsieur Linh est écrit selon un point de vue externe, mais est aussi très centré sur l’émotion et sur les sensations, surtout l’odeur, pour mettre l’accent sur l’aspect étranger de l’histoire. En plus de cela, les trois romans sont structurés de manière semblable, avec des fins ouvertes qui posent des questions : qui a tué Belle-de-Jour ? M. Linh survivra-t-il ? Est-ce-que le village était réel ? Claudel a donc mis au centre de ces trois romans la réflexion du lecteur avec des mystères.

Cela est réitéré à travers les lieux et les temps de ces histoires, qui, malgré des indications probables, ne sont jamais explicitement cités. En revanche, le fil conducteur de la guerre est toujours présent, donnant un côté tragique aux romans. Claudel relie ce manque d’identité à un manque d’une part de soi : les trois romans suivent des hommes qui ont perdu leurs femmes, soit face au chagrin dans Les Âmes grises, soit face à la guerre dans La petite fille de Monsieur Linh, soit face à un traumatisme violent dans Le Rapport de Brodeck. L’absence d’émotions d’Emélia n’est pas une mort, mais le mutisme qu’elle endure est presque pire, car elle est présente sans être accessible. L’homme est toujours solitaire, souvent seul avec un enfant pour représenter l’espoir. Poupchette et Sang-diû sont des incarnations d’évènements dramatiques, mais elles restent les seules vraies préoccupations des protagonistes. Le mystère tourne aussi toujours autour de ces filles, parce qu’on ne sait jamais pourquoi Mr Linh la traite comme une véritable enfant, et l’histoire de Poupchette reste longtemps secrète.  
Il semble que Philippe Claudel a comme préoccupation la situation de l’étranger en temps de guerre (Lysia, M. Linh, L’Anderer), peut-être à cause de sa région dont il est originaire : une zone historiquement touchée par la guerre, la Moselle.

Arman Perrier / S7L2 FR / EE Karlsruhe

Dans les trois livres, l’époque n’est pas précise (sauf dans Les Âmes grises) mais les personnages se trouvent dans la guerre. Le roman Les Âmes grises se passe pendant la première guerre mondiale, Le rapport de Brodeck dans la seconde guerre mondiale et La petite fille de monsieur Linh au Vietnam. Les personnages sont affectés négativement par les guerres, comme Lysia, dont l’amoureux a été tué pendant la guerre, Brodeck qui a perdu son humanité dans un camp de concentration et monsieur Linh qui a perdu ses enfants et sa maison. Ce sont aussi des étrangers qui ont dû déménager à cause de la guerre. 

Le Rapport de Brodeck explore beaucoup le thème de l’étranger car Brodeck (le protagoniste) est un étranger. Il devrait quitter son village car c’était détruit à cause de la guerre. Similairement, Monsieur Linh dans le livre La petite fille de monsieur Lihn dut quitter son village à cause des bombardements. Au contraire, Lysia a choisi de déménager dans un village près du front pout être proche de son amoureux. Néanmoins, elle était une étrangère dans ce nouveau village. Ils ont tous été tués dans une manière ou d’une autre ; L’Anderer, qui ressemble à Brodeck, a été tué car il était aussi étranger. On ne sait pas si Monsieur Linh a survécu à son accident à la fin de l’histoire, et Lysia se suicide car son amoureux a été tué. Quant à la petite fille Belle-de-Jour, elle a été tuée. 

Un autre thème dans les livres sont les femmes. Elles sont toutes représentées comme des symboles de beauté, des fleurs qui sont belles mais fragiles en même temps. Dans Le rapport de Brodeck, Emélia a été violée et à cause de ça, elle est devenue muette. « Emélia s’était enfermée comme dans une prison, où elle vivait sans vraiment exister ». Dans La Petite fille de Monsieur Linh, Sang Diǔ était sa petite fille qu’il a protégée « il tient sa petite fille dans ses deux mains, afin qu’aucun voleur ne puisse la lui prendre ». Et la petite fille de l’aubergiste Bourrache, Belle-de-Jour, a été tuée. Mais même si les femmes représentent la fragilité, c’est elles aussi qui sont les personnages les plus importants dans la vie des protagonistes. C’est à cause d’Emélia que Brodeck a survécu au camp. Et c’est à cause de Sang Diǔ que Monsieur Linh continue à vivre.  

Dawrah Sierig / S7L2 FR / EE Karlsruhe

En regardant les deux œuvres La petite fille de M. Linh et Le Rapport de Brodeck on peut repérer un grand nombre de liens entre non seulement les personnages principaux mais aussi les événements des histoires. La connexion la plus marquante est l’existence d’une guerre qui a une forte influence sur les personnages. Mais, dans les deux cas on ne connait pas les lieux ou les temps dans lesquels ces conflits se déroulent. Dans Le Rapport de Brodeck, il s’agit probablement de la deuxième Guerre Mondiale, à cause de l’existence d’une force militaire qui essaye d’éliminer une race. Dans La petite fille de M. Linh on sait seulement que le conflit a lieu dans un pays asiatique, à cause du nom du personnage principal. Il y a donc une sorte d’ambiguïté dans les deux livres. 

Un autre aspect que les deux histoires partagent est qu’on voit symboliquement à travers les yeux d’un étranger. Brodeck, comme M. Linh aussi, est un réfugié qui doit trouver sa place dans une société inconnue. M. Linh ne parle même pas la langue du pays, ce qui est la raison pour laquelle il est appelé « Monsieur Tao-lai » (donc « Monsieur Bonjour ») par M. Bark. 

Un dernier aspect important qui existe dans les deux œuvres est la coexistence entre le Bien et le Mal. Brodeck, après être revenu du camp, retrouve sa femme qui avait été violée pendant son absence. Mais, Poupchette, donc l’enfant née de ce viol, devient une source importante de motivation et d’amour pour lui. M. Linh a aussi subi un grand traumatisme sous forme de la mort de son enfant, mais sa poupée, qu’il nomme « Sang diû », représente une importante source de sécurité et de réconfort pour le vieil homme. 

Il existe donc un fort rapport entre les deux livres, notamment sous forme d’actions des personnages et des circonstances entourant les deux histoires. 

Louis Kellerbauer / S7L2 FR / EE Karlsruhe

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