« L’anomalie », Prix Goncourt 2020 : pourriez-vous aimer votre doublon ?

On s’est tous certainement déjà demandé si nous pourrions apprécier notre sosie, un être qui a non seulement notre visage mais aussi notre caractère, nos qualités comme nos défauts. « L’anomalie », un roman écrit par Hervé Le Tellier, apporte une tout autre dimension à cette question. Ce livre a été publié en août 2020, et a tout de suite reçu un accueil remarquable, que ce soit de la part de la critique ou de simples lecteurs. Ce qui a fait, sans aucun doute, de ce livre un best-seller qui a pu attirer le grand public et vendre près de 700 000 copies en moins d’un an, est le bandeau rouge qui figure sur la première et quatrième de couverture : le bandeau des gagnants du prix Goncourt. Il est assez pertinent de se demander ce qui a valu à l’œuvre cette récompense et comment, finalement, sont choisis les lauréats et gagnants d’un des prix les plus prestigieux de la littérature française.

Une œuvre travaillée difficile à catégoriser

Il serait assez difficile de définir le genre de « L’anomalie » : le texte relève en même temps du roman policier, de l’histoire d’amour, de la science-fiction… L’étiquette qui lui correspond le plus est probablement celle du thriller psychologique. Il suffit de rapidement feuilleter les pages du livre pour voir qu’il traite de sujets profonds qui ne laissent pas le lecteur indifférent. La simple structure prouve les efforts mis dans la rédaction d’un réel manifeste de la littérature française du 21e siècle. le roman est divisé en trois parties : « Aussi noir que le ciel », « La vie est un songe, dit-on » et « La chanson du néant ». Chaque division porte le nom d’un extrait de poème de Raymond Queneau, un romancier qui a beaucoup traité du surréalisme.

Le synopsis va main dans la main avec cette structure en trois parties. La première partie saute d’un personnage à l’autre. Le lecteur ne comprend pas tout de suite ce que tous ces futurs protagonistes ont en lien les uns avec les autres. Ces personnages sont extrêmement variés. Allant du criminel en série à une mère célibataire en passant par un auteur en quête de gloire, ils permettent à toute personne lisant le livre de se reconnaitre ou du moins d’être curieuse du destin d’un d’eux. Un rythme assez rapide est maintenu tout au long de cette première partie et laisse le lecteur en attente de plus.

Ce n’est que pendant la transition qu’il y a entre la première et deuxième partie que la personne lisant le roman se rend compte du point commun principal qu’il y a entre tous les humains décrits avant : ils étaient tous présents sur le même vol Paris – New York en mars 2021 (œuvre se passant dans le futur de l’auteur). Tout de même, dès le début de “La vie est un songe, dit-on”, on comprend que quelque chose ne va pas avec ce vol : les passagers ont bel et bien atterri en mars, mais un autre avion avec les mêmes passagers atterrit trois mois plus tard. Chaque personne à bord de ce vol possède donc un doublon. La deuxième partie avance à la vitesse de la lumière : un protocole de sécurité est mis en place, un hangar est mis à disposition des nouveaux arrivants et vient le moment tant redouté : la rencontre entre les sosies.

La troisième et dernière partie du livre se concentre sur la résolution des nombreux conflits qui apparaissent entre les “jumeaux”. Ceux-ci ne sont pas de simples clones, ce sont des êtres qui ont autant de vécu que les premiers atterris. Le dénouement résout certainement les conflits principaux du livre mais pose sans aucun doute plus de questions qu’il n’en résout, avec une fin ouverte et mystérieuse qui laisse le lecteur sans mots.

Un roman qui remet en doute l’essence même de notre existence

« L’anomalie » a été écrit en pleine crise covid. Cette période a été un moment où nombreux d’entre nous ont dû repenser notre mode de vie, nos habitudes, etc. Cette pandémie à fait se poser à l’humanité tout entière des questions sur notre réalité et a remis au premier plan cette anxiété autour de la fin du monde qui est apparue il y a déjà quelques décennies. Hervé le Tellier n’a pas fait exception à cette remise en question général, seulement lui, il en a sorti un livre.

Un thème récurrent dans ce livre est la confrontation à soi-même. Les personnages que l’histoire suit sont rapidement confrontés à des drames personnels, avant même l’arrivée du second avion. La rencontre entre les sosies est tout aussi perturbante pour le lecteur que pour les êtres fictifs. Sans même le remarquer, on se met tout de suite à se demander : comment est-ce que je réagirais si j’avais mon doublon devant moi ? On se demande quelles qualités nous permettrait de se rapprocher et quels comportements nous repousseraient. On est tout d’un coup beaucoup plus conscients de tout ce qui fait de nous un être vivant unique, et pas seulement au niveau de l’aspect physique. Cette remise en question perpétuelle continue tout au long de l’intrigue. Le lecteur est sans cesse confronté à soi-même, la grande variété des personnages aidant à cela.

Un autre élément clé de l’histoire est la manière dont notre existence est remise en question. Cette interrogation est observée sous différents aspects, que ce soit celui de la physique ou celui de la religion, mais, évidemment, aucune réponse définitive ne peut être élaborée. L’auteur donne au lecteur assez d’éléments pour pouvoir former des théories mais jamais suffisamment pour apaiser l’agitation qu’il créé.

« L’anomalie » s’arrête aussi à plusieurs reprises sur comment notre société fonctionne et comment on réagit en cas de crise. Le livre présente plusieurs protocoles que ces gouvernements fictifs suivent en cas de crise et montre à quel point tout cela est fragile. Il suffit qu’un seul domino tombe pour que le reste de la construction s’effondre. Dès que les citoyens sont informés du scoop des deux avions jumeaux, toutes sortes d’évènements dramatiques et tragiques s’ensuivent. On réalise assez facilement que l’auteur critique la société d’aujourd’hui, où l’on croit tout ce qu’on entend sans jamais réfléchir.

Le Prix Goncourt : une renommée devenue polémique

Le prix Goncourt a été créé il y a plus de cent ans, en 1892, dans le but de récompenser tous les ans l’ouvrage français en prose le mieux rédigé. Ce prix prestigieux est donc décerné tous les mois de novembre, avec les premières sélections et nominations qui commencent en septembre. Un panel de dix jurys se retrouve tous les ans au cours de plusieurs repas pour choisir les meilleures œuvres récentes. Malgré la popularité de ce prix et l’excitation qu’il provoque tous les ans dans le monde de la littérature, il suscite tout de même de multiples critiques. En effet, nombreux sont ceux qui ont remarqué l’aspect très élitiste du Prix Goncourt. Cela peut être vu avec la mise en avant d’auteurs étant proche de la « clique littéraire » et l’oubli des écrivains plus discrets.

Même si le Prix Goncourt est devenu assez polémique, les ventes suscitées par la récompense d’un livre ne sont pas négligeables. C’est pour cette raison que les discussions sont longues pour choisir le livre le plus marquant.  Mais comment choisit-on la meilleure des œuvres ? Les jurys sont souvent en quête de modernité et d’un style remarquable, qui peut être ressenti par le lecteur dès la première lecture. C’est certainement le cas pour « L’anomalie », ainsi que les autres livres nominés à ses côtés, tel que “Thésée, sa vie nouvelle” de Camille Toledo ou encore “L’Historiographe du royaume” de Maël Renouard.

Un livre qui vaut la peine d’être lu

De fait, « L’anomalie » est un roman à ne surtout pas manquer et que chacun devrait lire au moins une fois dans sa vie. Il est non seulement accessible et facile à lire, il captive celui qui le lit dès les premières pages. L’intrigue est infiniment bien réfléchie et, passant au-dessus de l’histoire de fiction loufoque, c’est une œuvre qui fait avant tout réfléchir. Chacun en tire ce qu’il veut et peut, pour finalement ne pas ressortir le même qu’il était avant.

Alexandra Dudka / S6 FRA / EEB1 Uccle

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