Comparer Regarde les lumières mon Amour d’Annie Ernaux et le film Playtime de Jacques Tati

En 2014, Annie Ernaux reçoit une commande de l’historien Pierre Rosanvallon pour sa nouvelle collection « Raconter la vie ». Elle doit écrire sur la vie des Français et leurs problèmes, par exemple la paupérisation des classes sociales. Selon l’autrice, prix Nobel de littérature 2022, les supermarchés et hypermarchés sont des symboles très forts de la société. Annie Ernaux livre ses observations des consommateurs, des modes de vie, des stratégies de vente et des hypermarchés en général. Le journal d’Annie Ernaux, Regarde les Lumières mon amour et le film Playtime de Jacques Tati, parlent de la communication et aussi de la non-communication dans la société, mais ils le font différemment.  

Eve Rummel et Layla Brugger / S7L3FR / EE Karlsruhe 

Une esthétique de la modernité  

Le film Playtime (1967) de J. Tati nous montre une vie très similaire à celle évoquée par Annie Ernaux. C’est une existence monotone : ni couleur, ni « vie »… sinon dans une version minimaliste. C’est une vie dans du béton percé de fenêtres. Dans le film Playtime de J. Tati, il n’y a pas de message vocal mais seulement visuel. Le film est tourné en noir et gris, ses couleurs décrivent le passé mais aussi la monotonie et la tristesse. La neutralité montre les gens sans émotions, car les couleurs sont normalement utilisées pour exprimer leurs émotions. Les meubles dans le film sont très minimalistes, les voitures tournent en cercle, sans fin. Dans le monde du protagoniste M. Hulot, il y a beaucoup d’angles droits et des espaces rectangulaires. Cela augmente le sentiment de la froideur du monde. « La satire du film, écrit Tati, ne porte pas sur le lieu où nous vivons mais comment nous le pratiquons. »  

Dans le premier chapitre de son journal, Annie Ernaux décrit des hypermarchés. Avec les hyperboles comme « gigantesque, énorme et immense », elle nous donne l’image d’un espace inquiétant. « Voir pour écrire, c’est voir autrement » constate Annie Ernaux. Pour elle, l’hypermarché ce n’est pas seulement une place pour la consommation, Annie Ernaux le relie à la grandeur, comme un spectacle de la « réalité sociale de la France d’aujourd’hui ». Rejoindre le supermarché, « Comme un remplissage du vide qu’est, dans ce cas, le reste de la journée. Ou comme une récompense. Me désœuvrer au sens littéral. Une distraction pure. ». Le style d’écriture d’Annie Ernaux met en valeur le style publicitaire utilisé par les supermarchés. Annie Ernaux utilise par exemple beaucoup d’énumérations : « […] le seul café, Le Troquet, le cinéma Les Tritons et la librairie Le temps de vivre […] » (p. 31) ou « […] billetterie, voyages, photos etc. » (p. 32). Les listes dans le livre sont aussi des énumérations. Il y a des listes de courses, de marques et de noms d’hypermarchés. En plus, Annie Ernaux utilise aussi des phrases nominales : « Langage humanitaire de séduction » (p.42) qui rappellent les slogans publicitaires. Pour souligner des expressions, Annie Ernaux les met en lettres capitales. Par exemple, p. 44 : « CONSOMMATION SUR PLACE INTERDITE ». Ses lettres en capitales sont utilisées pour les slogans ou les panneaux d’avertissements dans le livre. Enfin, le livre utilise volontiers du franglais : « le self discount » (p.44). Donc Annie Ernaux utilise différentes façons pour rendre compte de la communication des supermarchés qui rappelle l’esthétique de la modernité utilisée par Jacques Tati.  

Sarah Lesser, Eve Rummel, Giulia Dreusch / S7L3FR / EE Karlsruhe 

Des personnages aliénés  

Dans Playtime, on peut voir le personnage principal, comment il traverse la ville et comment tous les bâtiments se ressemblent. Les gens agissent comme des robots de façon presque mécanique, entourés par des cages tout en effectuant leur travail rituellement. « Dans le film de Tati, la standardisation n’est pas uniquement dans les matériaux, les objets de la modernité, les formes architecturales mais aussi dans les comportements. » (Martouzet Denis, Laffont Georges-Henry, « Tati, théoricien de l’urbain et Hulot, habitant », L’Espace géographique, 2010). Les personnages de Tati marchent en groupe dans une même direction. Ils s’assoient dans leurs petits compartiments. Le protagoniste dans le film, M. Hulot, ne semble pas habitué aux styles de vie moderne et triste. En plus, l’indifférence des autres suggère que le film est comme un cauchemar surréaliste.  

C’est possible aussi de comparer ce surréalisme avec l’œuvre d’Annie Ernaux. Dans l’introduction du livre, l’écrivaine décrit un moment bizarre :  quand les personnes en Slovaquie étaient obligées d’acheter des produits du supermarché. « A l’entrée, un employé du magasin mettait d’autorité un panier dans les mains des gens, déconcertés. » peut-on lire, dès l’incipit du journal d’Annie Ernaux. La narratrice affirme sa singularité quand elle fait voler en éclats le rituel des cartes de fidélité à la caisse d’Auchan.  « Jusqu’à présent, j’ai toujours refusé d’avoir la carte de fidélité d’Auchan. À la question posée rituellement à la caisse, « Est-ce que vous avez la carte de fidélité ? », je répondais donc aussi rituellement : « Je ne suis fidèle à personne. » La narratrice refuse donc la standardisation. 

Sophia Stoney, Maxima Reinhardt / S7L3FR / EE Karlsruhe 

Le motif de la cage  

Additionnellement, pas seulement le livre, mais aussi le film insinue que la vie est comme enfermée dans une cage. Cette cage est montrée dans les bureaux du M. Hulot et dans le centre commercial lui-même du livre. Comme des animaux en cage, les gens de ce monde surréaliste travaillent dans les emboîtements carrés. Dans le livre, le centre commercial est la cage. Les rayons sont monotones, très propres et il y a un manque d’esthétique dans les grands espaces. On peut appliquer ces caractéristiques au monde du film Playtime où les bâtiments immenses et les grands espaces ressemblent à des cages comme le montrent les bureaux carrés du film Playtime de Tati. Il n’y a pas de couleur et M. Hulot est mal à l’aise parce qu’il y a un manque de « vie ».  Il doit s’adapter à la vie moderne : les grands bâtiments déstabilisent le protagoniste. 

Sophia Stoney, Careen Liebe / S7L3FR / EE Karlsruhe 

Des œuvres politiques  

Le film Playtime est une réflexion sur le capitalisme. Au début et à la fin de film, on voit les réalisations architecturales gigantesques, des portraits de dirigeants (de l’entreprise) mais aussi plusieurs affiches publicitaires. Ceci pourrait rappeler l’architecture stalinienne et le culte de l’image des dictatures. Annie Ernaux n’aime ni le capitalisme ni le consumérisme mais pense que nous achetons trop. Elle est surtout intéressée par les clients et les employés. Le livre d’Annie Ernaux parle de l’après-communisme à Kosiče, en Slovaquie. Annie Ernaux a visité certains pays communistes, par exemple la Russie, l’Albanie et le Chili. Elle raconte ses voyages décevants dans son film autobiographique Les Années super 8. Les supermarchés reflètent non seulement la situation politique d’un pays et la vie privée des gens mais aussi celle d’Annie Ernaux. Elle écrit que le supermarché « c’est un grand rendez-vous humain ». « Il n’y a pas d’espace, public ou privé, où évoluent et se côtoient autant d’individus différents : par l’âge, les revenus, la culture, l’origine géographique et ethnique, le look » souligne Annie Ernaux. L’hypermarché est à l’image du capitalisme : les riches y envoient leurs serviteurs faire leurs courses. L’hypermarché et le capitalisme tuent les petits magasins et entretiennent le consumérisme. Annie Ernaux écrit : « Dans le monde de l’hypermarché et de l’économie libérale, aimer ses enfants, c’est leur acheter le plus de choses possibles. » L’Histoire dans le livre implique don,c l’économie, la société et la culture.  

Preet Singh, Eve Rummel, Careen Liebe / S7L3FR / EE Karlsruhe  

Pour conclure… 

Dans le livre, Ernaux explore les problèmes sociaux. Elle considère les supermarchés comme des symboles de la société ; on peut donc comparer ses observations avec le film de Tati, Playtime. Le livre et le film montrent un monde moderne et monotone et critiquent l’individu aliéné dans des environnements standardisés. 

Preet Singh / S7L3FR / EE Karlsruhe

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