Brodeck, l’envoyé des Ténèbres : interview de Philippe Claudel
Dans son interview, Philippe Claudel raconte ses inspirations, son processus de création des personnages et les messages que son roman Le Rapport de Brodeck contient.
Il commence par expliquer comment le personnage de Brodeck s’est formé. Dans un rêve, Claudel avait rêvé la première phrase du livre : « Je m’appelle Brodeck et je n’y suis pour rien ». L’origine de ce nom est probablement liée au fait que la grand-mère de Claudel lui disait de ne pas « broder des histoires », donc Brodeck est quelqu’un qui invente et écrit des histoires. Et le nom de Brodeck sonne « étranger » partout. C’est aussi dans sa perspective que le lecteur voit les actions de l’histoire. Et il exerce un métier « romanesque » qui n’existe pas en réalité.
On ne sait jamais, si Brodeck raconte des mensonges même si ce sont des aspects mineurs du rapport. L’Anderer par exemple, qui joue un rôle intégral dans les événements, n’est pas nécessairement vrai. On pourrait imaginer qu’il est juste un double de Brodeck
Claudel explique que certains personnages incarnent des façades de lui-même. Il donne l’exemple de Poupchette, qui représente peut-être l’importance et la vision éternelle positive qu’il aura de ses enfants, mais aussi l’exemple de Fédorine, qui comble peut-être son manque de grands-parents. On apprend aussi que ces personnages sont construits à partir d’une image et non pas d’un visage. Claudel aime reprendre la citation de Gracq, qui dit qu’on « voit [les] personnages de dos », donc ils sont construits pour représenter une idée ; dans l’univers romanesque, les femmes représentent souvent des fleurs : Fédorine est décrite comme une « vieille pomme ».
Une autre pensée non-consciente que Claudel mentionne est celle de la peur. Il suppose que sa peur de l’inconnu et de « l’autre » aurait pu influencer son roman. Il a donc inclus d’autres forces pour combattre cela : l’amour et la nature. L’amour est présenté comme la force qui permet de combattre le mal, en étant la force qui permet à Brodeck de survivre au camp, tandis que la nature est un refuge dans lequel Brodeck est à l’aise et en sécurité. L’amour est donc très important dans Le Rapport de Brodeck, notamment en lien avec les trois femmes dans la vie de Brodeck. L’amour filial pour Fédorine qui l’a sauvé quand il était petit, l’amour conjugal pour sa femme Emilia et l’amour paternel pour Poupchette.
Mais tous les humains ont des parties positives et négatives. La scène où Brodeck prive d’eau la femme enceinte relève certainement l’aspect négatif. De l’autre côté, après qu’il revient du camp, Brodeck s’occupe de Poupchette comme si elle était sa propre fille.
La façon avec laquelle Claudel écrit l’histoire est aussi particulière. Il ne précise jamais le lieu où le temps spécifique des évènements. Toute cette histoire peut n’être qu’une illusion ou une hallucination : d’ailleurs, le village disparait à la fin… La géographie « romanesque » peut faire penser à la ville natale de Philippe Claudel, Dombasle-sur-Meurthe. Aussi, l’histoire est racontée par Brodeck « par sauts et par gambades » comme dirait Montaigne. Le temps ne suit pas une trajectoire linéaire. Dans le même paragraphe, on trouve différentes facettes de l’histoire du personnage principal qui se déroulent dans le passé et le présent.
L’idée de Claudel était d’écrire un roman intemporel pour que ses idées puissent être appliquées à travers le temps. L’écrivain démontre aussi l’application universelle de ses idées en (dé)structurant son roman comme une pensée humaine, ce qui permet au lecteur de relier les thèmes et les personnages à sa propre vie. En conclusion, l’œuvre Le rapport de Brodeck de Philippe Claudel représente des thèmes significatifs pour l’auteur mais aussi pour nous dans le présent.
Louis KELLERBAUER et Arman PERRIER / S7L2 / EE Karlsruhe