Bénévolat : s’engager pour aider

Ce samedi matin de printemps, me voilà dans un petit local à préparer des sandwichs au fromage avec de souriants inconnus. Chacun sa petite mission, une tranche de pain, une tranche de jambon et en 15 minutes, le tour est joué : voilà 200 sandwichs bien emballés.

Mais il ne s’agit pas des préparatifs d’une sortie randonnée… Je me trouve en fait avec trois amies galerie Ravenstein, dans le centre de Bruxelles, à vivre une expérience tant attendue : une journée de bénévolat auprès de SDF à la gare centrale de Bruxelles avec, « Serve the city », une association offrant cette possibilité (voir à la fin de l’article). Cette expérience fut tellement particulière pour moi que j’ai peur de ne pas être capable de la raconter dans son intégralité et son authenticité.

Il est 8 heures, Nino, notre responsable, nous briefe rapidement : ce sont surtout des réfugiés d’origines arabe et africaine, uniquement des hommes de 16 à 45 ans, et, apparemment, il faut éviter de leur poser des questions sur leur vie personnelle, car ils peuvent être sensibles à ce sujet. J’écoute à peine les consignes, toute excitée à l’approche des interventions concrètes. Je m’imagine déjà leurs grands sourires, la reconnaissance émue sur leurs visages, la joie dans leurs yeux, leurs remerciements confus.

 

Mais qu’est-ce que je fais là, moi ?

Quand on arrive, le choc est assez brutal. Un groupe d’hommes dans un coin se retourne et crie vivement : « Eh Nino! ». Quand on passe à côté d’eux, l’odeur est désagréable : ils puent la pisse. On installe tous nos sacs par terre. Ils approchent. Vite. Et ils sont nombreux en plus. Ils parlent fort. Ils sont grands. Sans vraiment m’en rendre compte, je me retrouve avec un thermos de café à la main. Ils m’encerclent, se bousculent, me tendent leurs gobelets en plastique tout abimés en criant : « Coffee ! Café ! Cof, mamouazelle, coff ! Fast ! ». Et moi qui n’arrive pas à ouvrir le thermos. Je suis terrifiée, je suffoque. Mais qu’est-ce que je fais là, moi ? Je n’ose pas les regarder dans les yeux, je me concentre sur leurs mains sèches et abimées et leurs fausses chaussures de marque, déchiquetées. Je ne réfléchis plus vraiment à rien, j’ai peur, je pars. Je pose le thermos et je pars. Comme ça. Je prétexte une envie d’aller aux toilettes. Il me faut un moment pour retrouver mes esprits et mon calme. Mais, vraiment, qu‘est-ce que je fais là, moi ?

 

De l’horreur au fou rire

Quelques moments plus tard, de retour à notre stand, je retrouve (enfin) mes amies qui distribuent des oranges. Tout est plus calme. Mais, les yeux sur mes chaussures, j’ai quand même envie de repartir. Et puis je lève enfin la tête : ils (les monstres effrayants de tout à l’heure) sont rassemblés par petits groupes, ils rigolent de rires sincères découvrant leurs dents abimées. Ils se bousculent pour se charrier, une vraie bande de potes. Ils me paraissent soudain différents. Ils me tendent la main pour avoir des oranges, de minces sourires commencent à apparaitre mais pas encore de mercis à proprement parler. Parfois, certains passent deux fois pour en avoir plus, mais je suis fermement obligée de refuser, il n’y en aurait plus assez pour les autres. Ça me brise le cœur, ça : refuser une orange à quelqu’un qui a faim, mais vraiment faim, pas comme nous avant la cantine ! Je suis interrompue dans mes pensées par un éclat de rire « HaHaaa Youre HaaaaayRE !! Haiir ! You is Fellaini ! » Un garçon pointe mon amie du doigt. Il a une cicatrice sur la joue gauche, la vingtaine. Habillé différemment et après une bonne douche, il pourrait même être un bel inconnu croisé dans la rue. Il trouve que ma copine a les mêmes cheveux que Marouane Fellaini, un joueur de foot belge à la coiffure originale. Fou rire général. Chez nous comme chez eux. On rigole, tous ensemble, et on oublie pourquoi on est là, nos histoires respectives, l’énorme mur culturel et social entre nous. Et on rit, d’un rire franc et sincère. Un genre de moment hors du temps, plein joie et de naïveté.

 

De la fiction à la réalité

On en arrive à essayer de papoter comme on peut avec l’homme à la cicatrice. Il a de beaux yeux noisette, un regard perçant ; le genre de regard qui livre ce que les voix cachent. On parle de tout et de rien, passant de notre animal préféré à la météo, et, alors, j’oublie tout. Jusqu’à ce qu’il me demande si je connais un endroit où dormir ou se laver. Retour drastique à la réalité. Evidement je n’ai rien pour lui à part des oranges. Je n’ai plus peur maintenant, mais je suis juste affreusement mal à l’aise et impuissante confrontée à toute cette injustice.

Et puis je le regarde plus attentivement, lui et son ami. Je les imagine se rencontrer sur un bateau de fortune, entassés dans un camion ou fuyant une ville bombardée. Je vois un film émouvant avec de la musique, des images floues et des réfugiés qui fuient. Le genre de film qui me fait pleurer et me dire que ce genre d’atrocités n’arrivera plus jamais, que je me battrai pour empêcher ça. Seulement voilà : on ne change pas le monde en partageant des vidéos émouvantes sur facebook. Je suis prise d’un élan de bonne volonté, j’ai envie de me lever, de crier, de dénoncer, de me battre. Afin que plus jamais personne ne soit malheureux. Mais si, en théorie, tout cela semble si facile à faire, on ne change malheureusement pas le monde en un claquement de doigts.

 

Rester sensibilisé : un impératif

Cependant, une fois rentrée chez moi, après une réflexion approfondie et un long trajet de métro, bien installée dans mon canapé douillet, je réalise que ce garçon pourrait ne plus exister. Quand j’aurai repris le chemin du lycée, quand je réaliserai ma naïveté, je l’oublierai certainement bien rapidement. J’ignorerai égoïstement son existence comme je l’ai fait pour tous les autres. Pourtant, cette expérience a bien existé : pour la première fois de ma vie, cet individu étranger était là, face à moi. Pas à travers un écran ou évoqué par des paroles mais devant moi. Sa présence m’étouffait et m’attirait simultanément. Il me regardait de ses yeux expressifs, il échangeait avec moi, faisait attention à son apparence, il parlait de foot, du temps qu’il fait et de musique. Ils étaient nombreux comme ça, pleins d’angoisses, de bonne volonté, de force, de douleur, d’amour, de courage, d’espoir et d’une folle envie de vivre. Comme tout le monde, en fin de comptes.

Je me demande ce qu’il fait maintenant. Alors que je rentre dans ma petite maison bien au chaud avec une famille présente et aimante, un bon repas et un avenir certain. Il doit chercher un endroit où dormir, un petit coin dans l’ombre qui pue un peu moins. Il doit penser à sa petite sœur et sa mère qu’il a laissées là-bas, se demander quel petit travail il pourra trouver pour survivre ou comment financer le transport vers un autre pays. A quoi ressemble cette vie ? se demande-t-il. Et à quoi ressemble la mienne ? Tout nous sépare et pourtant tout nous unit.

 

Jeanne V. / EEB1 / S5FR

Illustrations tirées du site de Serve the City.

 

« Serve the city » est une organisation qui offre des journées de bénévolat sous différentes formes (le participant se voit attribuer une tache en fonction de ses compétences) et vient en aide aux personnes âgées, handicapées, victimes d’abus, refugiées et plus encore. Ils assurent des journées de bénévolat mensuelles tout au long de l’année ainsi qu’une semaine complète (cette année du 1er au 8 juillet) qui offre plus d’activités et rassemble davantage de monde.

https://www.servethecity.brussels/volunteer/big-volunteer-week/

Une pensée sur “Bénévolat : s’engager pour aider

  • 26 octobre 2017 à 22 h 16 min
    Permalink

    Waouw! Quel talent! Une vraie journaliste en herbe. J’ai eu beaucoup de plaisir à lire cet article; il m’a vraiment touchée.

    Répondre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.