Albert Camus – Kamel Daoud : Quand Meursault rencontre son double
Tout comme Albert Camus, Kamel Daoud est né en Algérie et a vécu son enfance et sa jeunesse là-bas. On peut d’ailleurs voir l’influence du contexte algérien dans leurs deux œuvres, par exemple la guerre d’indépendance dans Meursault contre-enquête. Dans son livre l’Etranger, Camus nous invite à explorer sa philosophie de l’absurde, et on retrouve bien dans Meursault contre-enquête l’absurde camusien renouvelé pour souligner les rapports instaurés par le pouvoir colonial mais aussi les rapports de force au sein de la famille comme dans Meursault, Contre-enquête où la mère domine le fils. Camus et Daoud ont aussi été tous les deux journalistes. Camus a travaillé principalement pour deux journaux : Alger républicain et Le Républicain. Quant à Daoud, il a travaillé pour l’un des principaux journaux francophones d’Algérie: Le Quotidien. Ils ont tous les deux eu le journalisme comme point de départ. Kamel Daoud souligne également une curieuse coïncidence : l’acteur qui jouait le combattant algérien Ali Lapointe dans La Bataille d’Alger était le même qui interprétait l’Arabe dans le film “Lo Straniero” de Luchino Visconti.
Le titre : Meursault, contre-enquête vs L’Etranger

On peut comparer, tout d’abord, les titres des livres de Camus (L’Étranger) et celui de Kamel Daoud (Meursault, contre-enquête). Nous avons le titre de l’œuvre de Camus, L’Étranger, qui nous donne le même sentiment de distance que ressent le protagoniste par rapport à sa propre histoire et on peut le remarquer tout le long du livre, alors que pour Meursault, contre-enquête c’est quasiment le contraire. Le titre nous donne déjà un aperçu du genre littéraire de roman éponyme (qui porte le titre du Héro). Il nous donne en tant que lecteur des informations de base qui nous permettent de bien nous immerger dans le début de l’œuvre, alors que le titre de Camus nous laisse dans un doute incertain et perpétuel.
L’iconographie : photo d’un homme marchant sur la plage de Louiza Ammi
La plage peut faire penser à la scène dans L‘Étranger, lorsque Meursault tue Moussa. L’iconographie sert comme incipit, elle reflète le meurtre de Meursault et en combinaison avec le titre, nous savons que le roman va être en relation avec l’histoire et les évènements dans L‘Étranger de Camus. À la page 87 de Meursault, contre-enquête, Haroun pense à la plage et à l‘instant où Moussa est mort. De plus, nous apprenons, qu’il chante souvent une vieille chanson qui parle d’un frère emporté par les mers, ce qui est une référence à Moussa, qui est mort au bord de la plage. Ce passage du livre est également une référence à l‘iconographie, où nous voyons la plage de Louiza Ammi.
L’épigraphe de Cioran (Syllogismes de l’amertume,1987) dans le roman de Daoud
« L’heure du crime ne sonne pas en même temps pour tous les peuples. Ainsi s’explique la permanence de l’histoire. » L’épigraphe de Cioran, qui se trouve dans les premières pages du roman, rappelle le passage du procès d’Haroun, coupable du meurtre d’un Français ; tout ce qu’on lui reproche est de l’avoir tué trop tard : « Seul l’horaire semblait poser un vague problème », écrit Daoud (p.162). Dans le contexte de ce roman, on peut être à peu près sûr que l’appellation « les peuples » fait référence aux Français et aux Algériens, ainsi on comprend que la citation parle du crime de Meursault et de celui Haroun.
L’incipit : « Aujourd’hui, M’ma est encore vivante. » (Daoud) / « Aujourd’hui, maman est morte. » (Camus)
Les incipits de Kamel Daoud et Albert Camus se ressemblent très fortement. Kamel Daoud choisit « Aujourd’hui Mm’a est encore vivante » tandis qu’Albert Camus choisit, quant à lui, d’écrire « Aujourd‘hui maman est morte ». Le surnom que donne Daoud à la mère : « M‘ma », peut laisser penser que bien qu’il ait appris le français, Haroun ne se résout pas à parler comme les Roumis mais plutôt comme il en a l’habitude. La phrase employée par Daoud donne une impression de moquerie : l‘incipit est répété plusieurs fois à travers les chapitres ce qui fait, penser au comique de mots et de répétition qui sont souvent utilisés au théâtre.

La mère
La mère de Meursault dans L‘Etranger et celle d’Haroun dans Meursault, contre-enquête jouent un rôle important dans l’histoire et le destin des deux héros. Dans L‘Etranger, la mère de Camus est morte dès le début de l‘histoire et c’est l’indifférence de Meursault lors de son enterrement qui sera le facteur crucial provoquant sa peine de mort. Ainsi, l’indifférence de Meursault prouve qu’il n’avait pas une relation très fusionnelle avec sa mère. Haroun, quant à lui, utilise le terme « notre couple » pour désigner la relation avec sa mère. Pourtant, il reste indifférent face au vieillissement de sa mère. Cela est dû au fait que la mère d’Haroun est la raison pour laquelle il restera pendant toute sa vie dans l’ombre de son frère tué et finira ainsi par tuer également. Haroun n’a finalement jamais eu sa propre identité à cause de l’oppression de sa mère. De plus, elle n’éprouve plus aucune affection pour lui après la mort de son frère.
Mériem
Mériem est la copine de Haroun. Dans les deux romans, il y a une partie qui porte sur l’amour, dans L’Étranger la femme de Meursault s’appelle Marie, les deux noms se ressemblent ce qui pourrait être un indice que Daoud s’est inspiré du livre L’Étranger en faisant des petits changements. Mériem et Marie ont environ le même comportement envers leurs amis respectifs. Comme les deux romans ont une histoire d’amour, on voit clairement que Meursault, contre-enquête est un « rebondissement » du roman L’Étranger, comme le dit Daoud dans son interview.
La mort du Roumi
La mort du Roumi, Joseph Larquais, était pour Haroun une façon de se venger du meurtre de son frère : “il ne s‘agit pas d‘assassinat mais de bataille“. Néanmoins, il était autant absurde que le meurtre commis par Meursault, car il s‘est déroulé deux heures après l‘indépendance. Haroun se trouve en prison pour ne pas avoir l‘avoir tué avant : « il fallait le tuer avec nous, pendant la guerre, pas cette semaine ». Haroun tue Joseph avec deux coups de revolver et Meursault avec cinq tirs. Haroun le fait à deux heures du matin et Meursault à deux heures de l‘après-midi. Il existe un parallélisme entre les événements, même s‘ils s‘opposent. Haroun fait de son mieux pour ressembler à Meursault. Il change même l‘heure de sa montre à quatorze heures et compare le nombre de tirs : « Au total cela faisait sept ». Il pense se libérer : « je pouvais enfin aller au cinéma » et vivre la vie de Meursault : « La vie m‘était redonnée ». Le fait que le crime de Haroun se déroule la nuit illustre la manière dont les Arabes n‘étaient que les « ombres des Français ».
Le procès
Le procès aussi a des similitudes avec L’Etranger. En effet, dans Meursault, contre-enquête, les deux personnages ne sont pas jugés pour avoir tué quelqu’un mais plutôt pour avoir soit mal enterré sa mère, soit commis un crime au mauvais moment et n’avoir pas rejoint le Maquis. La scène de l’interrogatoire est aussi similaire avec L’’Etranger. En effet, dans les deux scènes, le juge confronte Meursault avec la religion en utilisant un crucifix, tandis que dans Meursault, contre-enquête Haroun est interrogé par le colonel, qui agite un petit drapeau algérien, sur le fait qu’il ait commis un crime au mauvais moment. Cependant, il y a aussi des différences, par exemple le fait que Meursault soit condamné à mort, et que Haroun ne reçoive aucune peine. Ou encore le fait que les lieux des jugements soient très différents, que Meursault soit jugé dans une grande salle publique avec des journalistes et témoins, alors que Haroun n’a pas de vrais procès, seulement un interrogatoire, après lequel il est libéré.

Haroun
Haroun et Meursault s’opposent fortement. Haroun exprime ses émotions. Ainsi, il aime fortement Meriem et nous explique ses opinions et ses sentiments. Contrairement à Meursault, qui ne possède pas d‘émotions. De plus, ils ont vécu des événements similaires, mais de différentes manières, comme le type de crime commis. L’un, du point de vue de l’Arabe et l’autre, du point de vue du Français. En effet, Haroun donne une voix aux Algériens, qui ont été ignorés dans l’Etranger. D’ailleurs, nous retrouvons également une similarité dans les opinions sur la religion. Haroun critique la montée de l’islamisme après l’Indépendance et Meursault renonce à mentir sur le fait qu’il ne croit pas en Dieu pour éviter un conflit.
La fin du roman
Ces deux œuvres ont des fins proches. Dans L’Etranger. Meursault finit mort, tout en dénonçant la société de son époque. Dans l’autre roman, à la fin, Haroun commence à questionner son existence et toutes ses actions passées. « Leurs haines sont sauvages » sont les derniers mots de l’œuvre de Daoud. Il s’adresse aux Français, sachant que lui-même en a tué un. « Avec des cris de haines » sont les derniers mots de L’Etranger, on remarque qu’à la fin des deux œuvres, on retrouve le mot « haine ».
BROSSARD Loan, DE MONNERON Cécile, GARDEUR Alexandre, GEORG Leni, HOUDET Colin, HUBER Emilie, KUTZNER Ernest, PALO Mathys, SCHNEIDER Thomas, VIRNICH Madeline et YEMELE Ryan / S6Fr / EE Karlsruhe
Très intèressent