Rencontre avec le romancier Grégoire Polet
Grégoire Polet est un romancier belge que nous (S4 FRD EEB1) avons interviewé dans notre classe de français après avoir lu son livre, Chucho. Ce livre raconte l’histoire d’un petit garçon à Barcelone, orphelin, qui un jour rencontre un homme et lui demande de l’emmener à New York. C’est un roman beau, triste et qui fait réfléchir. Voici les réponses que nous avons obtenues durant l’interview.
D’où vous sont venus les noms des personnages ?
Parfois, quand on écrit, les noms des personnages s’imposent d’eux-mêmes, comme une évidence ou parfois, au contraire, vous ne les trouvez pas et donc, en attendant, vous les remplacez par quelque chose d’autre (un tiret, un symbole, etc.). Il faut que les noms de vos personnages représentent quelque chose d’important ou de concret à vos yeux. Prenons quelques exemples. Chucho est le personnage principal du roman. Nous voyons toute l’histoire au travers de ses yeux. Chucho est, en fait, un diminutif de Jésús en cubain. Le nom m’est aussi venu en repensant à une affiche que j’ai vue un jour en me promenant dans une rue (Chucho Valdès). Hans est le personnage auquel Chucho va beaucoup s’attacher. Le nom « Hans » est un nom typiquement allemand. Il m’est venu du héros « Hans Castorp » dans le roman La montagne magique. J’ai été passionné par ce roman.
Le personnage de Chucho est-il inspiré d’une personne réelle, que vous
avez rencontrée ?
Oui. Le déclencheur a
été ma rencontre avec un jeune garçon dans les rues de Barcelone alors que j’y
cherchais un appartement. Il m’a abordé, me proposant d’aller voir des
prostituées. Choqué, je l’ai repoussé méchamment et j’ai ensuite vite regretté
de l’avoir traité avec mépris. Après y avoir beaucoup réfléchi, j’ai essayé de
le retrouver, sans succès. Le surlendemain, je me suis lancé dans l’écriture de
Chucho, inspiré de cette brève rencontre avec ce garçon.
Dans Chucho, Hans rencontre Chucho de la même manière que vous. Est-ce que, pour cette raison, vous pourriez dire que Hans, c’est vous ? Est-ce que vous vous identifiez à Hans ?
Il y a beaucoup de moi dans le personnage de Hans, mais ce n’est pas moi : je ne me suis pas observé moi-même pour me décrire. Entre Chucho et Hans, Chucho, c’est le pauvre gamin qui est dans une mauvaise situation et qui n’a plus rien, et Hans, c’est le type qui s’est construit une vie solide, qui est dans le « côté positif » de la vie, qui est riche et qui finalement se préserve, se protège. Alors qu’il est plus fort et qu’il est devant un faible son réflexe est de se protéger. Et ça c’est quelque chose que j’ai trouvé en moi, c’est à dire qu’en écrivant, souvent on apprend. Cette découverte que le fort, bizarrement – c’est comme ça dans la vie, c’est quelque chose d’intéressant à étudier socialement et en soi – a généralement peur des faibles. Alors qu’on pourrait penser le contraire, ce sont les faibles qui ont peur du fort, mais les forts ont quelque chose à perdre, et donc ils ont peur des faibles qui n’ont rien. C’est intéressant de comprendre qu’en fait beaucoup de choses dans l’histoire ont fonctionné comme ça. C’est pour cela qu’avec l’éditeur, au dos du livre, on a écrit « c’est l’histoire de Hans et Chucho, et aussi une vraie histoire du monde » car ça pouvait être vu comme une fable de ce rapport entre les faibles qui ont besoin et qui demandent, et les forts qui peuvent donner mais qui se préservent.
Pourquoi vous être concentré majoritairement sur Chucho dans le livre ?
Je voulais que le récit soit rapide, condensé, afin que le lecteur voie l’histoire à travers les yeux de Chucho et qu’il puisse avoir sa propre interprétation du récit.
Pourquoi, dans l’histoire, les parents de Chucho ne sont-ils pas
vraiment présents ?
C’est manifestement un
enfant sans parent, comme il y en a beaucoup, donc soit orphelin pour avoir été
abandonné, soit orphelin parce que les parents sont morts ou parce qu’on ne
sait pas qui sont les parents. D’ailleurs dans l’histoire, on sait qui est la
mère de Chucho mais on ne sait pas qui est le père. Ici il y a un doute sur
Bélito. Bélito est-il son père, oui ou non ? Il a l’air quand même de mettre
beaucoup d’espoir dans Chucho, donc peut-être le regarde-t-il comme son
successeur potentiel. Vous savez, quand on rédige un roman, on croit qu’on
écrit une histoire mais en fait, on fait sortir des choses sur soi-même. Et ça,
on s’en rend compte après coup. Il y a ainsi plein de choses sur moi dans ce
livre. Par exemple, j’ai grandi dans une famille où trois de mes frères et
sœurs ont été adoptés dans un orphelinat en Corée. Donc j’ai vécu toute mon
enfance et toute ma vie familiale avec mes frères et sœurs qui eux ne
connaissaient pas leurs parents biologiques. Cette situation m’a probablement
conduit à créer un personnage dont les parents sont absents et dont on ne sait
pas où ils se trouvent.
Trouvez-vous votre récit parfait ?
Bien sûr que c’est imparfait. Mais je ne cherche vraiment pas la perfection, dans aucune de mes activités d’ailleurs. Je ne l’ai jamais rencontrée non plus, et je n’ai jamais rien vu de parfait. Un peu comme un dessin que j’arrête quand je sens qu’il est bien, je termine un roman à un moment donné et je l’assume ainsi. Même en corrigeant sans cesse, on n’atteint pas la perfection et, au bout d’un moment, on sait que la perfection n’existe pas alors on ne la cherche plus. Je n’ajoute presque jamais rien quand je relis, par contre, je retranche, je fais tomber les adjectifs. En relisant Chucho récemment par exemple, je suis tombé sur une phrase dans laquelle il y avait deux adjectifs qu’il aurait fallu absolument éliminer mais que j’ai laissés. Vous voyez, j’aurais pu faire mieux !
Dans votre roman vous citez le poème « Se equivoc la paloma », et vous écrivez également plusieurs passages d’une manière poétique… Avez-vous déjà pensé à écrire de la poésie ?
En réalité, j’ai commencé par écrire de la poésie, pour moi uniquement – c’était très intime – vers quinze ans. J’ai continué jusqu’à mes dix-huit ans, et je pense que c’est donc pour ça que la poésie est devenue pour moi comme un « réflexe d’écriture ». Si jamais je me retrouve avec une feuille et un stylo et que je m’ennuie, mon premier réflexe sera d’écrire de la poésie. Pour moi, la poésie reflète également l’amour, les sentiments, en opposition à la raison, qui touche le cerveau au lieu du cœur.
Il y a 5 mois, je suis allé à Barcelone et pendant la lecture de ce livre, j’ai pu constater que l’image de la ville qu’on y trouve est très différente de ce que j’ai vu là-bas. Comment se fait-il que, dans le roman, Barcelone soit présentée comme une ville pauvre, crasseuse, dans laquelle règne le manque d’argent et la faim ?
Je préfère ce genre de milieu populaire, je trouve ça plus inspirant, il y a plus à apprendre, à écrire, à montrer, car dans les quartiers riches, les gens se voilent la face, ils ne montrent pas le vrai côté des choses, ce qu’ils ressentent vraiment. Mais je comprends qu’on ne reconnaisse pas vraiment Barcelone dans le roman car la ville a objectivement changé depuis plusieurs années, le tourisme a augmenté de 180% en dix ans, ce qui a bien évidemment modifié assez bien ce qu’on voit de la ville.
Par où avez-vous commencé votre livre ? Comment avez-vous su que votre livre devait commencer par-là ?
Chaque auteur fait différemment, et encore, ça peut varier d’un livre à l’autre. Pour Chucho, j’ai simplement écrit la première phrase. Ensuite, le texte est venu assez rapidement mais il y a eu un moment où je me suis arrêté pour me demander où j’allais. À ce moment-là, j’étais à l’écoute de différentes options pour parvenir à une fin vraisemblable.
Comment décider de quelle perspective narrative utiliser ?
C’est tout à fait intuitif, ça dépend du roman que j’écris. Dans Chucho, on a un mélange des deux. Quand on suit Chucho, on est dans une perspective interne, mais quand on est avec Hans, c’est davantage omniscient. Même avec des modifications du point de vue, il faut faire en sorte que le texte soit homogène. Quand j’ai choisi de faire un mélange des deux, je me suis longtemps posé la question de savoir si cela était pertinent.
Comment finit-on un roman ?
Ça dépend des romans mais pour celui-ci, j’ai simplement levé la plume en me disant qu’il ne fallait plus y toucher. Lorsqu’on écrit un roman, il y a une sorte de musique, de rythme qu’il faut savoir respecter lorsqu’on écrit. Il faut donc savoir aussi s’arrêter au bon moment car si on continue d’ajouter encore des choses, ça peut devenir moins harmonieux. On pourrait s’intéresser à ce qui va arriver au personnage principal ensuite mais où s’arrêter à ce moment-là ? Mon but n’était pas de raconter une fable avec une bonne leçon à la fin de mon roman. Pour moi, les personnages vivent et si je devais raconter toute leur histoire, je devrais aller jusqu’au moment où ils meurent. C’est pour cette raison que j’ai décidé d’arrêter d’écrire ce roman quand j’ai senti que la musique venait à sa fin. Quand cela me semblait beau et équilibré.
Avez-vous écrit une suite, sinon, comptez-vous en écrire une ?
Pas vraiment, mais, d’une certaine manière, il existe une suite à travers le roman Barcelona ! dans lequel réapparaissent Chucho et Hans, bien que ce livre ne raconte pas exclusivement leur histoire.
Quels sont les bons et les mauvais côtés du métier d’écrivain ?
Le bon côté, c’est la liberté parce qu’on n’est contraint par personne pour écrire. Mais le mauvais côté, c’est la solitude parce que je suis seul et que je n’ai personne à qui demander si ce que j’écris est bien ou non.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir écrivain ?
Vers quinze ans j’écrivais de la poésie, j’aimais vraiment ça et je pense qu’à un moment, je me suis dit que c’est ce que je faisais de mieux. De plus, mon père était professeur de littérature donc il y avait à la maison un certain prestige accordé à la littérature et aux auteurs. J’imagine que ça a dû aider. Mais, écrire des livres, c’est une chose, en faire son métier, c’est tout autre chose. J’ai commencé à écrire des livres mais sans avoir en tête d’en faire mon métier. J’ai fait une thèse, puis j’ai enseigné, j’ai fait de la recherche et finalement, quand mes revenus ont été suffisants, je me suis dit que c’était bon, que je pouvais essayer de prendre l’écriture comme activité principale.
Y a-t-il des auteurs qui vous ont inspiré ?
Oui, plusieurs auteurs quand j’étais plus jeune m’ont donné envie d’être écrivain. Par exemple, Balzac, dont tous les romans formant un système appelé « La comédie humaine » : ce qui m’intéressait dans son écriture était le fait que l’on pouvait adorer un personnage pour ensuite le retrouver dans d’autres de ses romans. La plupart de ses personnages reviennent d’un livre à l’autre en tant que personnages secondaires. Ainsi, on pouvait découvrir ce qu’ils étaient devenus au fil du temps.
Quelle est la démarche à faire pour publier un livre ?
Il faut évidemment avant tout écrire le livre. Ensuite tu dois envoyer ton manuscrit à un ou des éditeurs, qui prennent entre 3 et 6 mois pour lire ton manuscrit car ils en reçoivent énormément. Ensuite, l’un d’eux te répond, généralement non, mais, dans le cas où il te répond positivement, vous signez un contrat (avec un pourcentage pour l’auteur sur les ventes). Dans ce contrat, l’éditeur s’engage à publier le manuscrit dans les 12 mois qui suivent. Ensuite, quand le livre sort, l’auteur va chez l’éditeur pour signer un certain nombre d’exemplaires qui seront envoyés aux journalistes de la presse spécialisée. Les journalistes reçoivent beaucoup de livres donc ils feront une sélection. Ensuite, les attachés de presse des éditeurs téléphonent aux journalistes pour voir ce qu’ils pensent des livres qu’ils leur ont envoyés.
La classe de S4L1FRD / EEB1 Uccle
Interview coordonnée par Juan MOUREAU
Photo : LG