Nicolas Ancion : un auteur face aux lecteurs

Le mardi 14 mars l’auteur Nicolas Ancion s’est rendu à l’école européenne de Bruxelles 1 pour rencontrer plusieurs classes, dont les élèves de S4L2-FRC. Les élèves lui ont posé de nombreuses questions sur sa vie et un de ses livres, New York, 24 heures Chrono, qu’ils avaient lu auparavant. Ce roman raconte l’histoire d’un jeune homme qui s’appelle Miguel et qui reçoit, un jour, une lettre d’héritage de son grand-père qu’il n’a pas vu depuis très longtemps. Il lui demande de retrouver sa cousine à New York afin de toucher l’héritage.

 

Nous avons parcouru votre bibliographie et nous sommes tombés sur des titres surprenants, comme par exemple Les ours n’ont pas de problèmes de parking, Le garçon qui avait avalé son lecteur mp3 ou Nous sommes tous des playmobiles. Pourquoi vous amusez-vous à créer des titres aussi étranges ?

On dit toujours que les auteurs écrivent des livres, mais ce n’est pas vrai ! Moi, j’écris des textes. Les livres, ce sont les éditeurs qui les font. Et donc, par contrat, je cède à l’éditeur tous les choix du livre : c’est lui qui va choisir la couverture, la typographie, la taille, la présentation, le texte qu’il va y avoir derrière, etc. Il peut me demander mon avis, mais si je ne suis pas d’accord, c’est lui qui décidera. La seule chose que, jusqu’à présent, les éditeurs ne m’ont jamais changé, alors qu’ils peuvent le faire, ce sont les titres. Et c’est donc le seul argument de vente que je contrôle. Au moment où j’écris mon livre, j’essaie de trouver des titres qui vont attirer les lecteurs un peu particuliers pour attiser leur curiosité.

 

Est-ce que vous vous sentez attaché aux personnages de vos livres ? Avez-vous un personnage préféré parmi ceux que vous avez créés ?

Quand j’écris, je dois vraiment me mettre dans la peau de chacun des personnages. Quand deux personnages se disputent, je dois les comprendre tous les deux. Il n’y en a jamais un qui me représente vraiment, je dois les comprendre tous, même si c’est un sale type. Dans New York, 24 heures Chrono, je suis à la fois Miguel et les types qui essaient de l’escroquer, je suis le type qui le frappe, je comprends pour quelle raison il le fait, je suis les policiers. Je dois comprendre pourquoi Miguel n’aime pas trop New York (c’est une ville qui a effacé son passé par cette envie de modernité permanente et donc, il y a moins d’endroits authentiques). De ce fait, c’est difficile d’avoir un personnage préféré, c’est même impossible.

Faites-vous des plans avant de commencer vos livres ?

Quand j’écris un livre, je vois des personnages et certaines scènes en premier. C’est souvent assez vague. Au moment où j’ai commencé à écrire New York 24h Chrono, le titre était Courir à New York. Je savais juste une chose : le personnage allait courir au début de l’histoire comme plein de gens le font, pour faire du sport, puis à un autre moment de l’histoire, il allait courir pour sauver sa vie, pour échapper un grand danger, mais je ne savais pas lequel. J’écris donc plutôt à l’instinct, sans faire de plan, sans numéroter à l’avance des chapitres. Mais, là encore, chaque écrivain a sa méthode. J’ai des amis écrivains qui sont très organisés.

 

Quels conseils pouvez-vous donner aux personnes qui rêvent de devenir écrivain ?

Devenir écrivain, c’est compliqué. Ce qui est intéressant, c’est d’écrire. Ça fait plus de vingt ans que j’écris et le monde a vraiment changé. Avant, les éditeurs avaient encore envie de trouver des auteurs. Maintenant, ils ont juste envie de sortir des bestsellers. A une certaine époque,  ils étaient encore curieux de trouver des gens qui écrivaient différemment, qui osaient des choses différentes mais aujourd’hui, ils ont surtout envie de trouver des gens qui vont faire vendre des livres. Si, demain, Victoria Beckham publie un livre pour enfants, comme Madonna a fait un jour, elle va vendre plus de livres que les meilleurs auteurs des dix dernières années. Donc, la question est moins de savoir comment écrire des livres, que de ressentir du plaisir à écrire. Ça, c’est exceptionnel : quand on écrit, on est maître du monde. On peut faire ce qu’on veut. On a la liberté qu’on n’aura jamais dans le reste de la vie. On peut inviter les amis, les tuer, les découper en morceaux et ça ne fait mal à personne. On peut amener Godzilla à Bruxelles, ça ne coûte pas cher. Le seul secret, c’est de trouver du plaisir à écrire et à aller tout le temps là où on n’est pas encore allé.

 

Quel est le livre qui vous a procuré le plus de plaisir à écrire ?

J’ai toujours beaucoup de plaisir en écrivant… Mais, dans le recueil de nouvelles qui s’appelle Les Ours n’ont pas des problèmes de parking, on trouve la vraie histoire de mon chien en peluche, que j’ai depuis l’âge de huit ans. C’est l’histoire d’un chien qui découvre qu’il a un étiquette dans la patte, et qu’il y a écrit dessus « Made in China ». Il se dit donc que le petit garçon avec lequel il vit depuis toujours n’est pas son vrai papa, qu’il a été cousu en Chine et il décide alors de partir à la recherche de sa vraie maman en Chine. C’est une histoire très triste…

 

Vous avez écrit le livre New York 24 heures chrono en très peu de temps (24h). Quelles ont été vos difficultés principales ?

Deux aspects ont pu être difficiles. Le premier, c’est qu’à New York, pour des questions d’organisation, la rédaction ne s’est pas déroulée dans un seul endroit où j’aurais pu passer tout le temps. Au salon du livre de Bruxelles, pour une autre expérience, j’étais toute la nuit dans le même lieu, avec toutes les animations nocturnes diverses (les gens qui font le ménage, les pigeons qui passent, etc.) qui créent une ambiance. A New York, en raison des assurances par exemple, vous ne pouvez pas rester la nuit dans un bâtiment. J’ai donc commencé à la bibliothèque de l’Institut Français puis j’ai continué dans une bibliothèque publique dans la 5ème Avenue, je suis ensuite allé dans ma chambre d’hôtel et enfin le matin au salon. Cela étant, je me suis rendu compte que le fait de devoir passer d’un lieu à l’autre, de marcher dans New York, me faisait du bien, cela m’a permis de m’oxygéner le cerveau.

La seconde difficulté, c’est que, durant les 24 heures d’écriture, il y a des moments où les lecteurs disparaissent pour aller dormir, parce que mes lecteurs sont principalement en Europe, surtout en France et en Belgique. Donc, même si je suis actif à New York, quand il fait nuit en Europe, on se sent vraiment tout seul. Je suis toujours tout seul d’habitude quand j’écris, mais là, pendant ces 24 heures, des gens m’envoient des tweets, des commentaires sur Facebook ou des courriels pour me dire en direct ce qu’ils pensent de ce que j’écris. Et, quand tout d’un coup ça s’arrête, je me dis : « Est-ce que ça a un sens de continuer à écrire ? Est-ce que je n’irai pas simplement dormir deux heures ? » Quand on commence à se poser ces questions-là, on sort de l’écriture et ce n’est pas très bon. Voilà le moment difficile. Par contre, le moment magique, c’est quand il est 9 heures du matin en Belgique (donc 2-3 heures aux États-Unis) et que je commence à recevoir des messages de Belges qui se sont réveillés. Ils ont pris leur petit déjeuner et puis ils sont allés lire ce que j’avais écrit pendant la nuit. Ils m’envoient donc leurs commentaires par rapport à ce que j’avais écrit pendant les heures où ils dormaient. Ces personnes qui m’envoient un message me redonnent alors la force de continuer à écrire.

 

Les tweet que vous recevez vous incitent-ils à changer quelque chose dans les versions ?

Oui. La première fois que j’ai mené cette expérience, c’était à la Foire du livre de Bruxelles. Il y avait un critique littéraire, qui habitait à Madagascar, à l’autre bout du monde mais dans le même fuseau horaire, et qui a suivi en direct l’écriture pendant les 24 heures. Il avait décidé de tenir et il a tenu presque toute la nuit, il est allé dormir à 3 heures du matin. Et donc il écrivait chaque fois que je finissais un chapitre, en direct sur son blog, la critique de ce que j’avais écrit jusque-là. Et quand il écrivait qu’un personnage intéressant venait d’entrer dans l’histoire, je faisais disparaitre le personnage pour m’amuser. Je savais que lui allait jusqu’au bout de l’histoire et c’est comme avoir un copain de l’autre côté du monde.

 

Comment trouvez-vous l’inspiration ?

Quand on doit créer un livre, l’inspiration, c’est comme un muscle, ça se travaille et ça s’entretient. Par exemple, si le prof de gym vous demande de faire 3 tours de la cour et que vous n’avez pas couru depuis longtemps, vous allez avoir des difficultés, mais, si vous vous entrainez toutes les semaines, vos 3 tours de cour, vous allez les faire très facilement. L’imagination, c’est exactement comme un muscle : si on vous demande brusquement d’écrire une histoire, ça va être très difficile à faire mais si on vous demande tous les jours de chaque semaine d’écrire deux paragraphes, vous allez aimer inventer des histoires. J’invente mes personnages à partir de plein de choses qui m’ont marqué, de gens que j’ai rencontrés, de gens qui m’ont fait peur dans la rue. Je me réfère au vécu mais jamais vraiment consciemment. Par exemple, je ne me dirai jamais : « Ah ! je me souviens de ma grand-mère que j’adorais et je vais la mettre dans une histoire ! ». Mais chaque écrivain travaille différemment. Certains s’appuient essentiellement sur des histoires vraies, et ils vont rencontrer les gens, parler avec eux et ensuite écrire leur histoire. Moi, je ne sais pas faire ça.

 

On a vu que vous avez écrit des feuilletons sur internet : pourriez-vous nous expliquer ce que c’est et en quoi c’est différent du fait d’écrire un roman ?

A l’époque de l’arrivée d’internet, j’avais proposé d’écrire une histoire pour laquelle je publiais un épisode par semaine : je l’écrivais tous les jeudis et les gens l’avaient en direct. La différence avec l’écriture habituelle d’un roman, c’est que j’avais une sorte de rendez-vous hebdomadaire immédiat avec les lecteurs.

Est-ce que vous préférez écrire des histoires courtes ou des romans ?

C’est plus facile d’écrire des histoires courtes, c’est plus vite fini. Comme je suis paresseux, c’est vite fait… Mais les lecteurs peuvent prendre du plaisir à entrer plus lentement dans un roman plus long et à vivre avec des personnages un certain temps.

 Quel est votre auteur préféré et pourquoi ?

Plus que des auteurs préférés, j´ai surtout des livres préférés. Mais si je devais vraiment choisir, je citerais Georges Perec, un auteur français qui est mort très jeune sans avoir eu le temps d’épuiser son imagination. Il a fait des livres qui ne se ressemblent pas, et c’est pour ça que je l’aime beaucoup. Mon préféré s’appelle La vie mode d’emploi. Il a aussi écrit La disparition, un roman entièrement écrit en français sans la lettre « E », qui est la lettre la plus fréquente de la langue française, sous la forme d’une histoire d’espionnage, c’est passionnant ! Ce type était un génie.

 

Voulez-vous transmettre un message avec vos livres ? Et si oui, lequel ?

Non, pas du tout ! Si je voulais porter un message, j’écrirais un tweet en une centaine de mots et le message arriverait tout de suite, ou bien je pourrais aussi écrire un texte sur mon blog ou sur ma page Facebook. Les livres ne sont pas des machines à faire passer de messages, sinon ils seraient lus par trop peu de gens. Pour moi, les romans sont comme des attractions dans une foire. Par exemple, quand vous sortez du train fantôme, est-ce que quelqu’un vous demande « C’était quoi le sujet ? », « T’as appris des nouvelles choses ? » ; non, on vous demande si vous avez bien aimé, et si c’est le cas, vous avez envie d’y retourner ou d’aller dans une attraction encore plus forte. Pour moi, les bons livres permettent de ressentir des émotions. On a apprend certes de nouvelles choses, mais surtout, les livres, on les vit, et on ne vit pas pour apprendre mais on apprend en vivant.

 

Êtes-vous en train d’écrire un nouveau roman?

Je suis tout le temps en train d’écrire un livre, et actuellement je termine un livre un peu bizarre. Un éditeur a sorti une collection qui s’appelle « Le livre à lire dans … », par exemple « Le livre à lire dans la bibliothèque » ou « Le livre à lire dans la salle de bain ». J’ai proposé « Le livre à lire dans la salle d’attente », parce que quand je suis dans une salle d’attente, je suis toujours frustré de voir que beaucoup de gens lisent les pires choses qu’on ait : les magazines de potins ou les histoires people, et souvent périmés (comme ce sont des exemplaires d’il y a longtemps, les nouvelles y sont totalement dépassées). ♦

La classe de S4L2FRC

Photo de une : Dominique Houcmant

Photos dans l’article : Dominique Houcmant / Marie Rime

BONUS : ENTRETIEN EN VIDEO

VIDEO O365

Une pensée sur “Nicolas Ancion : un auteur face aux lecteurs

  • 24 octobre 2017 à 14 h 35 min
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    this article was absolutely fantastic, especially the paragraph ‘Quel est le livre qui vous a procuré le plus de plaisir à écrire ?’ was obviously extremely well typed out.

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