Un film/témoignage d’un avortement clandestin
Le film « l’évènement », sorti le 2 février en salle de cinéma en Belgique, partage le récit puissant d’Annie Ernaux, écrivaine qui en 2003, a publié le témoignage d’un imprévu qui l’aura impacté le restant de sa vie.
Audrey Diwan (réalisatrice du film) nous a présenté le roman « l’évènement » avec un visuel marquant. Il est évident que l’équipe du tournage a longuement travaillé et réfléchi sur chaque scène filmée, qu’il s’agisse des angles de caméras, des interactions entre les personnages, et de ce qu’on laisse voir au téléspectateur.
Une dénonciation bien réelle
« L’évènement » est une histoire vraie, vécue par la romancière Annie Ernaux, jeune étudiante en lettres des années 60, ambitieuse et pleine d’énergie, mais qui à 23 ans va subir un évènement traumatisant et qui perturbera son quotidien et sa vie de jeune femme.
Elle rencontre un jeune homme dont elle tombera enceinte. Pour elle, dans la société dans laquelle elle vit et sous les lois qui la domine, c’est une nouvelle qui met fin à ses études et sa réputation. À l’époque, une grossesse est synonyme d’épouse qui deviendra femme au foyer si ce n’est pas déjà le cas. Or, Annie est jeune, célibataire et en pleines études universitaires. De plus, elle vient d’un milieu où elle ne peut pas se permettre d’abandonner ses études dans l’espoir de les reprendre en main un jour.
La jeune femme n’accepte pas le futur qu’on lui impose en raison de sa condition. Elle décide, en bravant la loi et en mettant sa santé en danger, de faire tout ce dont elle est capable pour se débarrasser de cet intrus qui parasite son utérus et la condamne à un futur qui pour elle est une ligne droite vers un destin misérable. Ce fardeau, elle est déterminée à s’en débarrasser. Elle accepte avec espoir n’importe quelle technique qu’on lui propose, passant cet objectif devant tout ce qui représente sa vie, n’hésitant pas à enchaîner les sacrifices.
Un tournage réfléchi et porteur d’un message
Les angles de caméras sont révélateurs et poussent à ressentir de l’empathie. Tout au long du film, les scènes sont dévoilées avec les yeux de la protagoniste, permettant au spectateur de se mettre à sa place ou de se sentir proche d’elle, en sa compagnie et dans sa situation tragique. La caméra, étant très rapprochée de la jeune femme, nous fait oublier l’environnement qui l’entoure et se concentre sur son visage et ses émotions. Ces angles ne permettent pas seulement de voir le monde à travers la vision d’Annie : ils permettent aussi de discerner la solitude de la protagoniste qui l’envahit petit à petit, et sont révélateurs lorsqu’il en vient aux personnes avec qui Annie interagit.
Chacun leur tour, ils lui tournent le dos. Les rares personnes qui contribue à son combat vers la liberté représentent une vraie issue de secours pour la jeune fille seule au monde.
Ses amies coupent tout contact, se braquant face au crime qu’Annie est prête à commettre, craignant la justice française. Des hommes de son entourage la prennent pour une fille facile, considérant qu’elle pourrait de plus s’adonner à des rapports sexuels plus facilement, en raison de sa condition qu’elle ne peut plus craindre à nouveau (en étant déjà enceinte, elle ne peut plus craindre une grossesse et donc ce n’est plus un motif majeur pour être réticente à avoir des rapports sexuels).
Les femmes dans sa situation subissent à l’époque un sexisme constant, en étant catégorisées, insultées, et victimes de préjugés. Bien évidemment, les hommes de l’époque qui entreprennent les mêmes rapports et qui mettent ces femmes dans cette situation ne sont pas blâmés.
Une course contre la montre
Les mois suivants la découverte d’Annie face à sa grossesse furent source d’angoisse, de crainte et d’inquiétude constantes. Les semaines défilent sur l’écran, prouvant aux spectateurs qu’avant tout, la solution dont Annie a besoin est urgente et que le temps qui lui reste est précieux. La pression que la protagoniste subit se ressent aussi chez les spectateurs, au fur et à mesure que les semaines passent. Annie doit non seulement se dépêcher, mais elle doit aussi être sur ses gardes, et faire attention à qui elle s’adresse pour demander de l’aide. Elle ne peut pas savoir si le médecin qu’elle ira voir risquera la prison pour elle ou la dénoncera à la police. Elle ne sait pas si elle trouvera à temps une « faiseuse d’anges » (avorteuse) et si elle aura assez d’argent pour se permettre un avortement clandestin. Elle ne sait pas non plus si l’avortement clandestin aura son effet, ou si elle devra re-subir l’un des moments les plus douloureux de sa vie à un prix exorbitant.
La santé mentale et physique du personnage principal se dégrade petit à petit. La grossesse occupe l’entièreté des pensées de la jeune femme. Celle-ci est complètement désorientée en cours, n’arrive plus à être aussi attentive avec les autres, que ce soient ses professeurs ou ses camarades. Elle paraît fragile et fatiguée.
Un réalisme frappant
Quand on est devant un écran, dans son fauteuil au cinéma, on est conscient que c’est un film, fiction ou inspiré de faits réels. Mais Audrey Diwan (la réalisatrice), a manié son projet avec un cadrage qui nous donne l’impression qu’on est présent à côté du protagoniste, que la scène se déroule réellement sous nos yeux. La réalisatrice n’a pas hésité à montrer de la nudité dans le domaine médical (en particulier le pubis, ce qui nous permet de ne pas se contenter uniquement du visage de la protagoniste pour comprendre sa douleur et ce qu’elle subit).
La scène d’avortement est très frappante car nous comprenons facilement le ressenti d’Annie et l’enjeu pour elle d’être discrète (ne pas crier) malgré la douleur insurmontable qu’elle subit. Si elle crie ne serait-ce qu’un petit son, l’avorteuse met fin à son intervention de peur que les voisins entendent la patiente et comprennent ce qui se passe. En plus de vivre l’une des pires douleurs de sa vie, la jeune femme est obligée d’être vigilante et discrète.
Trop de responsabilités pour autant de souffrance
Annie subit une grossesse non désirée. Elle ne peut pas en parler à sa famille de peur de sa réaction. Ses amies lui tournent le dos et elle se retrouve avec une réputation dégoûtante.
Elle doit faire attention à quels médecins elle s’adresse. Un médecin la manipule pour lui prescrire des injections renforçant le fœtus, en lui mentant sur son contenu. Elle est condamnée à vendre toutes ses possessions pour se payer un avortement clandestin. En plus de souffrir, elle doit être discrète, la plus silencieuse possible durant son avortement. Quand elle fait finalement une fausse couche suite à son avortement, elle doit, à moitié inconsciente, rester attentive jusqu’à ce que la sentence du médecin qui l’a prise en charge tombe : qu’il inscrive « fausse couche » ou « avortement clandestin » dans son dossier. Dans le deuxième cas, c’est la prison.
Un film politique et humain
La cinéaste Audrey Diwan a compris que pour faire percevoir au spectateur, il ne faut dire que le strict nécessaire et montrer un maximum. La réalisatrice a manié l’entièreté du film avec brio et intelligence. Le sujet politique du film est direct, mais il n’est pas sans âme, sans sentiment, à simplement vouloir faire rentrer une idée dans la tête. C’est un film humain, basé sur la compassion, l’empathie et la puissance de faire ressentir au spectateur l’épopée de la protagoniste. Ce film marque. Il reste dans l’esprit du téléspectateur pendant des heures suivant la projection. Il ne peut pas être oublié.
Un film qui dénonce
En plus de dénoncer les lois choquantes de l’époque, « l’évènement » dénonce la solitude, le silence et le tabou de l’avortement à l’époque. Et seul un film dont le sujet est entièrement dévoué au témoignage d’un avortement clandestin est capable de le dénoncer. En plus de comprendre le risque que ces femmes encouraient à l’époque et l’illégalité dans laquelle elles entraient, on réalise à quel point ces femmes étaient le tabou de la société. Le problème n’était pas seulement les lois imposées qui les privaient de liberté. C’était aussi le jugement qu’elles subissaient pour avoir été libres. Pour avoir voulu s’épanouir sexuellement avant le mariage, pour avoir été maîtresses de leur propre corps et pas dictées par un rituel social qui les soumettaient à une fidélité et des obligations particulières. Pour ensuite vouloir avoir un certain droit sur leur corps (avorter) et qui en plus, par cette volonté, soulignait que leur but en ayant des rapports sexuels n’était pas de concevoir un enfant, réalisation choquante pour l’époque.
Sortie du silence, après tant d’années, Annie Ernaux a dénoncé la face cachée des années 60 et Audrey Diwan a contribué en dénonçant à son tour pour atteindre un public différent.
Camille Bourcieu S5FRC / EEB1 Uccle
Images : allociné / Sortir à Paris
Sources :
Incroyable cet article, je cours aller le voir au cinéma!!