Le sexisme à l’école : plus présent qu’il n’y paraît
On l’entend de plus en plus, le sexisme chez les jeunes n’existe plus, puisque les nouvelles générations sont ouvertes d’esprit. Pourtant à l’école, temple dédié à la jeunesse, aucune règle ne stipule l’interdiction du sexisme. La clause 6 du règlement à EEB1, par exemple, déclare : « Je m’engage à ne pas tenir de propos ou commentaires grossiers ou vulgaires, à connotation raciste, xénophobe, profanatrice ou à caractère sexuel ». Techniquement, les élèves (et l’école avec eux) ont le droit d’être sexistes. Et ce ne sont pas les occasions qui manquent.
Les cours de sport, genrés ?
Dans les établissements scolaires, en cours de sport par exemple, les activités sont bien souvent genrées et beaucoup d’adolescent.e.s s’en plaignent, notamment sur les réseaux sociaux. Ils disent remarquer le sexisme dans les cours d’éducation physique, lorsque les garçons font du foot pendant que les filles apprennent des pas de danse, ou encore des commentaires des professeurs comme « Tu vas pas perdre contre une fille quand même », « ça va aller pour jouer contre les garçons ? ». De tels propos conduisent à un phénomène appelé la masculinité toxique : en se faisant battre par des filles, les garçons auront l’impression de perdre leur virilité et ne pas mériter le statut masculin. La masculinité toxique, c’est aussi quand un homme a l’impression qu’il perd de sa masculinité en laissant paraître toute forme de vulnérabilité. Un concept selon lequel un homme doit toujours être viril et dominant. Pour améliorer les choses, il faudrait peut-être réunir les classes de filles et de garçons au lieu de les diviser, notamment pour éviter que par manque de salle de sport, les filles se retrouvent à marcher autour du terrain sur lequel les garçons jouent au foot.
Le sexisme dans la bouche des élèves
Au Royaume-Unis, 66% des filles de 16 à 18 ans interrogées témoignent avoir été victimes de comportements ou insultes sexistes à l’école. Mais cela est vrai ailleurs. Voici le témoignage d’une élève : « En cours de français, on parlait de l’époque médiévale et à quel point le viol était présent pendant cette période. La professeure parlait d’un film qu’elle voulait nous montrer, qui expliquait que personne ne croyait les femmes quand elles se faisaient violer. Un garçon dans ma classe a dit ‘’les femmes, on les connaît, elles veulent toujours avoir de l’attention des hommes donc elles inventent ce genre de choses. ‘’ A ce moment-là, on était plusieurs à ne pas être d’accord et la prof a dit qu’on ne pouvait pas débattre de ça dans la classe, alors que c’était elle qui avait amené le sujet. » Et ce n’est pas le seul exemple de professeurs qui écartent le sujet.
Une deuxième source explique : « L’année dernière, en cours d’anglais, un garçon a fait une blague sexiste. Tous les garçons de la classe ont trouvé ça drôle, et moi et mon amie, on leur a expliqué qu’on ne trouvait ça ni juste ni correct, surtout pas dans le cadre du cours. Personne ne nous a suivies, et tous les garçons de la classe nous sont tombés dessus en disant que ce n’était qu’une blague et qu’on vivait dans une société où on ne pouvait même plus rigoler. La professeure s’est énervée et nous a dit que ça ne concernait pas le cours. Le soir-même, on lui a envoyé un message pour lui demander d’en reparler en classe, pour expliquer aux garçons pourquoi leur blague était offensante. Elle nous a dit oui, et le lendemain on le lui a rappelé à la fin du cours. Tout ce qu’elle a dit à la classe, c’est que si on engageait encore des débats en cours, elle préviendrait notre conseiller et nos parents. Ce n’était pas du tout une bonne méthode, parce que même si ça les fait taire, ça ne les empêchera pas de recommencer plus tard. On en a reparlé à un des garçons de la classe, et discuté calmement avec lui. Il nous a dit qu’il comprenait pourquoi on était énervées et s’est même excusé. Preuve que c’était une question d’ignorance et pas de haine, et qu’il aurait juste fallu en parler. »
Ainsi, lorsqu’une allusion ou un commentaire sexiste est fait en cours, il peut arriver que les professeurs éludent le sujet. Le fait de ne jamais parler du sexisme à l’extérieur ne conduirait-il donc pas les professeurs à une forme d’ignorance, ce qui fait qu’eux-mêmes n’en parlent pas en classe, perpétuant ainsi un cercle vicieux de censure ?
De l’uniforme à la sexualisation
C’est l’un des sujets les plus touchés par le sexisme dans les écoles : des tenues jugées « trop courtes », ou encore « distrayantes ». Des professeurs qui accusent les filles de la classe pour les échecs de leurs élèves masculins. Or, on parle d’un cadre scolaire, et donc de jeunes filles qui ne sont pas encore considérées adultes. On les sexualise, en qualifiant leurs tenues de « provocantes », alors qu’elles-mêmes ne sont encore qu’enfants. Elza (nom d’emprunt), 12 ans, jeune élève d’une école secondaire à Saint-Gilles (Bruxelles), est le parfait exemple : renvoyée chez elle avant même d’avoir pu rentrer dans l’école, pour cause de « collants trop transparents ». Sur le compte Instagram « Les grenades », qui raconte son histoire, on retrouve la position de la maman d’Elza : « De quel droit empêche-t-on une jeune fille de 12 ans de se rendre à son cours de latin parce qu’on voit ses genoux ? Depuis quand ça empêche l’accès à l’éducation ? Et puis quel rappel à l’ordre. Toi, enfant, toi, petite fille, d’un coup, un adulte te remet à ta place. Ton corps est sexualisé. »
En France, le président de la république, Emmanuel Macron, a interdit le port des crop tops à l’école. Ce n’est pas le principe de cette interdiction qui est sexiste, mais sa justification : les tenues féminines « trop voyantes » sont interdites, et ce parce qu’elles seraient susceptibles de distraire des camarades de classe. A côté, les garçons ne se voient attribuer aucun code vestimentaire. Aux yeux du gouvernements, ils ne seraient donc pas susceptibles de distraire. Par cette règle, il est donc insinué que les jeunes filles sont, non seulement sexualisées, mais aussi des objets de désirs qui n’ont aucun désir.
Les stéréotypes en classe
Ici, on parle de l’effet psychologique que peuvent avoir les stéréotypes. Certains professeurs disent tout naturellement aux élèves que ce sont les garçons qui ont mieux réussi un test que les filles. Ou que les filles en classe causent moins de problèmes et sont plus calmes. Ces commentaires entraînent d’une part une sélection sociale : les femmes sont statistiquement moins nombreuses que les hommes dans les domaines scientifiques, et il a été prouvé que c’est, en partie, parce qu’elles intériorisent inconsciemment que les métiers de science sont masculins, et ce dès l’école primaire. Inversement, les hommes sont moins nombreux dans les métiers concernant les soins de la personne, puisque c’est un domaine dans lequel on attend des compétences ‘’féminines’’. Lorsque les deux genres renoncent à certaines carrières, sans en avoir conscience, on parle cette fois de censure sociale. Les stéréotypes introduits à l’école associeront les femmes à des métiers ‘’domestiques’’ (soins, éducation…) ce qui n’incitera généralement pas les garçons, aussi victimes de la censure sociale, à se diriger vers ce genre de carrière.
Le clitoris : tabou de l’éducation
Saviez-vous que le clitoris possède environ 8000 terminaisons nerveuses ? Connaissez-vous la date de sa découverte ? Avez-vous déjà entendu qu’au Moyen-Age, on pensait qu’il était utile à la reproduction, mais que lorsqu’à la Renaissance on a découvert qu’il ne servait qu’au plaisir, on l’a censuré ? Si vous saviez déjà tout ça, félicitations, vous êtes bien renseigné.e.s. Mais tout le monde ne l’est pas, car ces connaissances de base ne sont pas enseignées à l’école.
En France, depuis 2017, un seul manuel scolaire de sciences sur huit représente le clitoris. En 1998 (soit 29 ans après le premier homme sur la lune), Helen O’connell (urologue) fut la première personne à établir une représentation complète du clitoris. Pourtant, après 24 ans d’exposition au monde, 25% des filles de 15 ans ne savent toujours pas qu’elles ont un clitoris, selon un rapport sur l’éducation sexuelle remis en juin 2016 par le Haut Conseil à l’Égalité (HCE). Quant aux jeunes filles qui connaissent son existence, 83% d’entre elles ignorent le rôle du clitoris. Odile Fillod, chercheuse indépendante française, est connue pour avoir conçu un modèle stylisé de clitoris imprimable en 3D. Elle a également mis à disposition du corps enseignant un fichier permettant de l’imprimer. « Connaître le clitoris peut aider les femmes à se constituer comme sujet actif de leur sexualité, plutôt que de se voir uniquement comme objet (et réceptacle) du désir masculin. », explique la chercheuse.
Le sexisme dès la maternelle
Avant d’aborder le sujet, il faut comprendre pourquoi le terme « école maternelle » est sexiste. Il renvoie à une construction sociale qui met le poids de l’éducation sur les mères. Le sexisme en maternelle, personne n’y échappe. Dans la classe, les poupées seront bien souvent dans les mains des filles, et les garçons s’amusent avec des voitures. Après un rapide sondage parmi des adolescents sur leurs souvenirs de sexisme à la maternelle, deux témoignages sortent du lot :
« Quand j’étais en maternelle, il y avait une sorte de séparation entre les filles et les garçons. C’était inconcevable pour nous, petites filles, d’aller parler à un garçon. Je ne sais pas d’où ça vient. Comment c’est possible qu’à un âge si innocent, on se divise déjà. C’est pas comme si les profs nous avaient dit de ne pas jouer ensemble, mais ça ne peut pas non plus être inné. »
« Ma sœur est en maternelle et elle tient déjà des propos sexistes. Quand elle a reçu un vélo bleu pour son anniversaire, elle était toute contente et m’a dit ‘’regarde j’ai un vélo de garçon’’. Ça m’a beaucoup choquée, et j’ai essayé de lui expliquer pourquoi le rose n’est pas forcément pour les filles et le bleu pour les garçons. » Mais quand on a 5 ans et qu’on entend tous les jours les mêmes propos à l’école, il est compliqué de rentrer chez soi et de tout de suite croire à l’inverse, malgré les explications de sa famille. Comme il a été dit plus haut, il semble difficile de croire que ce comportement puisse être inné. Alors d’où vient-il ? Manuella Spinelli, co-fondatrice de Parents & Féministes, une association qui œuvre pour la parentalité égalitaire, explique : « Entre 18 mois et 3 ans, les enfants prennent progressivement conscience de l’existence de deux groupes, puis entre 3 et 5 ans, ils et elles pensent que l’appartenance à l’un des deux groupes se fait par le biais des caractéristiques extérieures (coiffure, vêtements…). C’est ce qu’on appelle la « stabilité de genre » : c’est pour cela qu’ils et elles se montrent très vigilants. À partir de 5 ans environ, les enfants développent la « constance du genre » et se rendent compte du fait que le genre ne découle pas de ces caractéristiques (une jupe, des cheveux longs ou courts, etc.). »
Il est très important de lutter contre les stéréotypes dès l’école maternelle, car ils ont des conséquences sur le futur. Par exemple : si le temps de parole des garçons est supérieur à celui des filles dès la maternelle, il va être intériorisé pour les garçons de prendre la parole, et de la laisser pour les filles. Cela conduit à ce que vivent les femmes à l’âge adulte lorsqu’elles sont en réunion avec des collègues masculins, ou encore au concept de mansplaining (quand un homme explique à une femme quelque chose qu’elle sait déjà, en partant du principe qu’elle est intellectuellement inférieure).
Pour conclure, malgré tout le progrès déjà fait, beaucoup reste à faire. Une grande partie du problème vient de l’ignorance, voilà pourquoi parler du sexisme est impératif. Que ce soit du côté des professeurs, des élèves, des hommes ou des femmes. Les premiers pas vers un avenir plus égalitaire seraient d’accepter de recevoir des leçons. C’est à nous tous de mettre notre fierté de côté, et d’être prêts à écouter et à comprendre les revendications de chacun.e. Il est de notre devoir à tous de nous informer sur le sujet du sexisme et ses différentes formes, afin de ne pas répéter dans le futur les erreurs encore commises aujourd’hui. En introduisant certaines valeurs, nous avons aussi le pouvoir d’éduquer les nouvelles générations.
Plusieurs opportunités s’offrent à nous à l’école : faire venir des spécialistes pour donner des cours de prévention au sexisme, lire des livres qui traitent du sujet en classe, ou encore introduire plus de débats en cours. Tous ensemble, nous avons le pouvoir de changer les choses. D’abord en tant que communauté, et plus tard en tant que société.
Leïna Abdeddaïm / S5FRA / EEB1 Uccle
t’as trop raison!! ton investissement dans cet article est flagrant, ça fait plaisir à lire. il est super pertinent, franchement.
merci, ça fait super plaisir venant d’une experte de l’écriture comme toi <3
Merci de parler de ce sujet, on en parle pas assez et on ne se rend parfois pas compte du poids de l’éducation dans le futur de nos sociétés! C’est pour ça que c’est si important d’éduquer les jeunes, comme tu as si bien dit. Super article!! On a besoin de gens comme toi qui s’investissent pour changer les choses!
merci beaucoup !!
Je découvre l’existence du magazine et cet article est le premier que je lis.
Je suis fort content de le découvrir et impressioné par la qualité et la pertinence de ces propos. Je suis moi-même ancien élève de l’EEB1 – Bac 2008, il n’y avait pas de magazine d’élèves à l’époque et nous ne parlions pas vraiment de sexisme.
Je suis triste de constater que la mentalité n’ait pas évoluer au niveau systémique. Je me demande si vos profs ont des consignes à propos de ces sujets, je ne comprends pas pourquoi ils.elles semblent éviter le sujet. En avez-vous parlé à la direction et/ou au CDE, y aurait-il un moyen de forcer la direction d’admettre qu’il faut en parler, et vite, lui demander d’organiser un forum, des formations pour le corps enseignant et les élèves – séparément.
Merci beaucoup d’en parler, j’ai beaucoup attendu un article de ce genre! Le style d’écriture est aussi incroyable, on voit que tu as mis beaucoup d’effort dans tes recherches et cet article!