La chasse aux sorcières : du Moyen Âge à nos jours
Chaque année à Halloween, des images de femmes au nez crochu portant un chapeau pointu surgissent un peu partout dans le monde. Mais quelle est véritablement l’histoire des sorcières ? On apprend à l’école (ou dans certain cas même pas) les atrocités infligées aux femmes accusées de sorcellerie au Moyen Âge nommées « chasse aux sorcières ». On associe donc souvent les sorcières à la période médiévale… à tort.
La chasse aux sorcières au Moyen Âge
En effet, les procès en sorcellerie débutent au XVe siècle et se développent majoritairement au XVIe et au XVIIe siècle. Entre 1430 et 1630, le continent européen a connu 110 000 procès en sorcellerie, dont 48% se sont soldés par une condamnation à mort ! Bien sûr, la majorité des accusées et tuées étaient des femmes… Mais comment donc les pouvoirs justifiaient-ils ces meurtres cruels ?
La fin du Moyen Âge s’accompagne d’une période de calamités : plusieurs épisodes de peste, des hivers très froids, des inondations, des sécheresses… En France par exemple, la population est en pleine expansion mais la production agricole stagne à cause de manque de progrès techniques notables ainsi qu’aux changements brusques de température. Le pays connait alors de nombreux épisodes de famine.
Dès lors, pour certains penseurs de l’époque, l’Eglise et les hommes au pouvoir en particulier, la concordance de tous ces événements ne pouvait s’expliquer que par une seule chose : la main du Diable. Ils voulaient à tout prix trouver une cause à ces malheurs afin d’éliminer toute possibilité de rébellion des paysans, affaiblis par le climat ainsi que par les impôts titanesques imposés par ces pouvoirs richissimes et corrompus, car cela pourrait entraîner la destitution brusque de leurs pouvoirs et de leur influence. Donc, selon eux, ces manifestations démoniaques ne pouvaient se faire que par l’intermédiaire… des femmes évidemment. L’Eglise qui détenait un pouvoir très important au sein des pays européens a donc amplifié la peur ressentie par la société à l’égard des sorcières en publiant « Summis desiderantes affectibus » en 1484, suivie par « Le Marteau des Sorcières », manuel dit démonologique. Ironiquement, une institution qui promouvait la paix et la vie est devenue celle qui instaure du chaos et cause la mort de millier de femmes (et d’hommes) innocents…
L’invention des sorciers, mais surtout des sorcières, était donc un moyen populaire, politique et même ecclésiastique, de trouver des prétendu.e.s coupables pour diverses frustrations de l’époque et d’en faire les boucs-émissaires de la société européenne médiévale et même de la Renaissance.
Mais pourquoi les femmes ?
Pour comprendre pourquoi autant de femmes furent persécutées en Europe, il faut revenir à l’identité de ces « sorcières ». Dans les foyers sans enfants, la femme était communément accusée de sorcellerie car l’impuissance de l’homme était inconcevable à l’époque. Le fait qu’elle soient ainsi indépendantes s’opposait aux idéaux du système patriarcal où l’homme possède le pouvoir totale sur la femme. On comprend ainsi que, pour pouvoir exister ou même survivre en étant une femme, il était nécessaire de se caser dans les normes sociales, d’être mariée, de respecter son mari, d’être docile… Pur sexisme.
Les femmes qu’on accusait de sorcellerie étaient souvent aussi des guérisseuses capables de soigner, d’accompagner les accouchements (ou les avortements). Ces pratiques étaient une preuve que ces femmes détenaient un savoir, donc un pouvoir. Bien évidemment, les hommes ainsi que l’Eglise s’opposaient radicalement à ces pratiques opérées par le genre « inferieur ». Encore une fois, les hommes voulant être dominants, sachants, vont essayer d’éliminer ces femmes qui bousculaient l’image féminine qu’ils souhaitaient véhiculer.
Et les sorcières aujourd’hui ?
Malheureusement, des centaines d’années plus tard, cette perception erronée de la sorcellerie, mais surtout des femmes, persiste. En conséquence, la chasse aux sorcières est aussi une pratique du 21ème siècle dans de nombreuses régions du monde, en particulier en Afrique subsaharienne, en Inde et en Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Les autorités de beaucoup de pays préfèrent fermer les yeux sur les féminicides, et certains systèmes juridiques sanctionnent publiquement les actes dits de sorcellerie en normalisant de fait ces meurtres barbares. Par exemple, en plus d’avoir des lois contre la sorcellerie (un crime passible de la peine de mort !), l’Arabie saoudite a créé une unité anti-sorcellerie en 2009 au sein du département de la police religieuse nationale. En Inde, des centaines de femmes sont accusées d’être sorcières (daayan) chaque année et tuées pour des raisons de superstition, car on les considère comme les réincarnations de démons mangeurs de chair humaine.
De plus, de nombreuses femmes sont bannies de leurs villages par mesure de « sécurité » pour les habitants et enfermées dans des camps de sorcières, à l’isolement, privées d’eau et d’électricité. Une réalité ancrée dans le quotidien africain, dans des pays comme la Zambie, le Kenya ou le Ghana. De nombreuses raisons sont invoquées pour enfermer ces femmes : ne pas enfanter un garçon, le décès ou la maladie dans l’entourage, ou même une apparition dans un rêve. En bref, c’est tellement simple d’être accusée de quoi que ce soit si l’on est une femme…
Les sorcières et le féminisme
Une sorcière, dans l’imaginaire collectif, c’est une vieille femme, hideuse et démoniaque, à l’image de celle de Blanche-Neige. Traiter une femme de sorcière, c’est dénoncer sa laideur, sa jalousie, sa solitude suspecte. Cependant, les féministes reconnaissent dans les sorcières une puissance des femmes difficile à vaincre. Le mythe de la sorcière est né de la peur des hommes envers les femmes libres, indépendantes… et féministes !
S’appuyant sur une relecture historique de la chasse aux sorcières, qui a visé surtout des sage-femmes, guérisseuses, détentrices d’un certain savoir donc de pouvoir, des militantes dénoncent la misogynie du christianisme, et le capitalisme qui s’est développé en diabolisant les femmes puissantes. La femme qu’on taxait de « sorcière » n’était rien d’autre qu’une femme indépendante, qui ne se définissait pas par rapport à un homme. Elle vivait en accord avec la nature et avec ses émotions et n’avait que faire des injonctions à être mère, à se marier, à se taire… Aujourd’hui, dans les cultures occidentales, les femmes qui ont le « malheur » d’être trop compétentes au travail, trop vieilles, trop libérées sexuellement et/ou qui ne veulent pas d’enfants ne sont plus brûlées, mais elles font l’objet de la même méfiance de la part de la société (et subissent toujours multiples violences sexistes).
La violence des misogynes envers les « sorcières » de l’époque correspond à celle que ne cessent d’essuyer les féministes contemporaines depuis la naissance du mouvement. C’est pourquoi, il faut déployer encore plus d’efforts afin que cette terrible période soit entendue, perçue et connue par chacun.e. De même, il faut mettre fin aux féminicides justifiés par la « sorcellerie » et si peu médiatisés… Pola Glinka / S6 FRA / EEB1 Uccle