Film « La zone d’intérêt » : Quand l’horreur devient banalité

Le dernier film de Jonathan Glazer fait fureur et provoque la discussion depuis sa sortie et sa nomination aux Oscars. La zone d’intérêt , dont la première a eu lieu l’an dernier à Cannes et qui a remporté le Grand Prix, se focalise sur la famille du commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss.

Cette famille, vivant pourtant de l’autre côté du mur des camps, vit sa vie avec désinvolture. Le père, rentrant sereinement d’Auschwitz tous les soirs, trinque avec ses collègues tandis que la mère, Hedwig Höss, se consacre pleinement à son jardin, y semant plantes variées et arbres fruitiers avec l’aide de prisonniers juifs. On y voit aussi scènes de détente, baignades estivales dans la rivière d’à côté et diners de famille. En fin de compte, c’est un drame familial évitant le tabou, « l’éléphant dans la pièce », qu’est le génocide perpétré de l’autre côté de la barrière par les Höss.

Un film sur la Shoah, sans pourtant la voir

Ce qui est encore plus terrifiant, c’est que l’on ne voit jamais l’intérieur du camp, on ne peut que l’entendre. Durant tout le film, les bruits des tirs, des cris et des fours crématoires vont crescendo jusqu’au dénouement final. Pourtant d’abord assourdissants, ils finissent par faire partie intégrale du film et se font progressivement presque ignorer.

La zone d’intérêt est finalement une métaphore de la banalisation de la violence. Les spectateurs et spectatrices sont confrontés à la nonchalance des Höss face au génocide nazi, et finissent par l’accepter. Certains se seraient peut-être même mis à la place de la mère, en se disant qu’ils n’auraient sans doute pas fait mieux qu’elle dans sa situation. Avec l’émergence des réseaux sociaux, la banalisation de la souffrance devient de plus en plus aisée. Nous sommes constamment confrontés aux images de guerre et aux crises humanitaires, au point où nous en arrivons à les ignorer lorsqu’elles défilent sur nos écrans.

La polémique

La dernière œuvre de Glazer a remporté l’Oscar du meilleur film étranger de cette année, et c’est à la suite du discours de remerciement du réalisateur lors de la cérémonie que survient une féroce polémique. En effet, Jonathan Glazer affirme vouloir avec son film « nous confronter au présent, ne pas dire « regardez ce que l’on faisait avant », mais plutôt ce que l’on fait maintenant ». Le réalisateur britannique de confession juive poursuit ensuite en disant qu’il « refuse que sa judéité soit détournée par une occupation engendrant un conflit pour tellement d’innocents, qu’il s’agisse des victimes du 7 octobre en Israël ou de celles des attaques incessantes qui se déroulent à Gaza, elles sont toutes des victimes de cette déshumanisation».

Approbation pour certains et indignation pour d’autres, ce discours marque les esprits. La supposée comparaison du réalisateur entre la guerre d’Israël contre Gaza, qualifiée de génocidaire par certains experts de l’ONU et historiens, et l’Holocauste nazi suscite discorde au sein de la sphère médiatique, tentant à tout prix d’éviter la « politisation » des Oscars.

Quelques jours plus tard, plus d’un millier d’artistes et figures importantes de confession juive à Hollywood signent une tribune condamnant le discours de Jonathan Glazer, refusant que leurs « judéités soient détournées afin d’établir une équivalence morale entre le régime nazi qui cherchait à exterminer une race de personnes et une nation israélienne qui cherche à empêcher sa propre extermination ».

Des soutiens importants

Certaines personnalités et organisations juives se sont tout de même exprimées en soutien de Glazer :

« Dans le discours qu’il a tenu aux Oscars, Jonathan Glazer a lancé une mise en garde morale contre la déshumanisation. Il n’avait pas pour but de descendre au niveau du discours politique. Les personnes qui attendaient de sa part une prise de position politique claire ou un film ne parlant que de génocide n’ont pas saisi la profondeur de son message », a déclaré quelques jours après la cérémonie Piotr Cywinski, le directeur du mémorial d’Auschwitz.

Jewish Voice for Peace, une organisation juive américaine, antisioniste et progressiste, affirme que Jonathan Glazer « s’exprime pour tous les Juifs, et ils sont de plus en plus nombreux, qui honorent nos frères et sœurs palestiniens dans leur lutte pour la liberté et la justice. Les personnes qui s’en prennent à Glazer revendiquent la propriété exclusive de l’identité juive et de l’héritage de l’Holocauste afin de défendre l’oppression, l’occupation et le génocide des Palestiniens mis en œuvre par le gouvernement israélien. »

Dans un podcast du journal israélien Ha’Aretz, le scénariste juif américain Tony Kushner a qualifié le 20 mars le discours de Glazer d’« inattaquable et irréfutable ». Tony Kushner, qui a travaillé sur plusieurs films de Steven Spielberg, a ajouté : « Ce qu’il dit est très simple : la judéité, l’identité juive, l’histoire juive, l’histoire de l’Holocauste, l’histoire des souffrances juives ne doivent pas être utilisées pour justifier la déshumanisation et le massacre d’autres peuples. C’est détourner ce que cela signifie qu’être juif et ce que signifie l’Holocauste. Il rejette cette idée. Qui n’est pas d’accord ? ».

La zone d’intérêt : un film sensationnel

La beauté cinématographique de La zone d’intérêt est remarquable, son utilisation terrifiante du son marque les esprits, et son message humaniste émeut chacun et chacune. Il est indéniable que le dernier film de Jonathan Glazer, récompensé aux Oscars, est un incontournable cette année.

David Schreiber / S5FRC / EEB1 Uccle

2 pensées sur “Film « La zone d’intérêt » : Quand l’horreur devient banalité

  • 21 avril 2024 à 13 h 27 min
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    Super intéressant tout ça dit donc!! Bravo ma petite couque au sucre :))

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  • 1 mai 2024 à 9 h 14 min
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    Très bon article, très complet ! Bravo !

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