BRUXELLES 1MONDE

“Your body, my choice” ou l’essor des discours masculinistes sur les réseaux sociaux

Avec la réélection du président Donald Trump à la Maison Blanche le 5 novembre 2024 face à son adversaire démocrate Kamala Harris, un déferlement de commentaires misogynes et antiféministes a été observé sur des réseaux sociaux de plus en plus libres comme “X”, ancien Tweeter, ou “Instagram”. L’idéologie du masculinisme est de plus en plus présente parmi les jeunes Américains de 14-25 ans, étant définie comme un mouvement réactionnaire, misogyne, androcentré (c’est à dire un mode de pensée consistant à envisager le monde uniquement ou en majeure partie du point de vue des êtres humains de sexe masculin) et antiféministe, ou encore comme un courant rétrograde qui souhaite voir restaurer un ordre social et familial bouleversé par « les excès du féminisme ». Mais qui sont les représentants de cette idéologie et que cherchent-ils à faire véhiculer à travers leurs discours, souvent relayés des milliers de fois par leurs semblables ?

“Your body, my choice”: détourner le féminisme

« Ton corps, mon choix. Pour toujours » est un tweet posté par l’influenceur misogyne et suprémaciste blanc Nick Fuentes dans du sillage des élections américaines de 2024. Cette publication a généré plus de 91 millions de vues et 35 000 partages sur le réseau social “X” pour son caractère provocateur et son message choc. En effet, en écrivant ce tweet, Fuentes reprend le slogan féministe des années 60’ “Mon corps, mon choix” ou “My body, my choice”, utilisé à l’époque comme cri de ralliement pour défendre le droit à la liberté féminine, sexuelle et matrimoniale, dans des années 60’ marquées par une franche domination du mari sur sa femme. Nous pouvons donc comprendre l’impact de détourner un tel slogan afin de réaffirmer une certaine domination des masculinistes envers la gent féminine et ce n’est malheureusement pas un cas isolé : le lendemain de l’élection de Donald Trump, l’Institute for Strategic Dialogue (ISD) a enregistré une augmentation de 4 600 % des mentions des phrases « Your body, my choice » et « Get back in the kitchen » (retourne à la cuisine) sur X. L’engouement lié à ce genre de discours ne fait donc qu’encourager d’autres masculinistes à s’exprimer à leur tour comme Andrew Tate, influenceur américain déjà connu sur les réseaux pour son discours masculiniste, qui aurait déclaré dans un tweet ensuite supprimé non sans avoir été lu plus de 680 000 fois : “J’ai vu une femme qui voulait traverser la route aujourd’hui, mais je ne me suis pas arrêté. Le droit de passage ? Vous n’avez plus de droits ». Ces citations nous permettent donc de nous rendre compte à quel point la rhétorique antiféministe est présente et relayée sur les réseaux, encourageant de manière assumée des idées de régression des droits de femmes.

Violences envers les femmes et arguments biologiques

Mais sur quels arguments repose le masculinisme ? Les masculinistes excusent les violences domestiques faites aux femmes en les considérant comme ”un instrument de la domination masculine”, excusées par le fait que la hiérarchie entre les sexes est non seulement présente mais justifiée et cela par argument biologique. En effet, ils affirment que les hommes réagiraient différemment au stress du fait de leurs hormones et leur patrimoine génétique et donc que le rôle dominant du sexe masculin est tout à fait “naturel”. Lors d’un conflit conjugal, ils auraient besoin de se retirer dans le silence mais une intervention féminine transformerait leur nervosité en colère et en violence, la femme serait donc ici la cause de la perte de contrôle et “mériterait” donc les coups portés. Comme l’indique la CVFE (Collectif contre les violences familiales et l’exclusion), selon les masculinistes, les hommes sont “construits biologiquement, historiquement, culturellement et socialement pour dominer le monde et régir le fonctionnement de la société”.

La provocation sauce Donald Trump

Quel est le rôle de Donald Trump dans la prolifération de ces discours sur les réseaux sociaux ? Trump serait une inspiration pour les masculinistes et cela pour plusieurs raisons. Le président américain réélu a toujours eu un discours hypermasculin et un soutien inébranlable des valeurs patriarcales, un exemple serait ses propos déjà en 1994 sur le rôle de sa femme Ivana Trump à la maison où il aurait affirmé « Je ne veux pas que ma femme travaille. Je veux qu’elle soit à la maison. Si je rentre à la maison et que le dîner n’est pas sur la table, je me fâche. ». Un autre aspect éloquent de l’inspiration de Trump serait la construction de ses discours : un style direct avec une utilisation excessive de rhétorique provocatrice. Ce sont des discours polarisants et inspirants pour ses partisans, comprenant les masculinistes, mais non sans une pointe d’humour. Trump fait se lever les foules mais une des principales valeurs de sa campagne servant aux masculinistes est aussi la liberté d’expression. En effet, si aujourd’hui il est si facile d’écrire et de proférer ses idéaux masculinistes au monde, c’est aussi car Donald Trump s’est attaqué à la liberté d’expression, y compris sur les réseaux sociaux, dès le début de son mandat. Parmi ses premiers actes lors de son retour à la Maison Blanche, il aurait publié un décret visant à “restaurer la liberté d’expression et à mettre fin à la censure fédérale” mais son influence sur les réseaux passe surtout par des alliances avec les géants de la tech comme Elon Musk, qui selon lui aurait “sauvé la liberté d’expression,” (“X” étant un des réseaux sociaux avec le moins de régulations pour des discours extrémistes comme ceux des masculinistes) ou Mark Zuckerberg qui aurait annoncé son soutien au président entrant et à des mesures plus laxistes sur son réseau “Instagram”.

Le rôle de l’UE pour lutter contre les discours masculinistes en ligne

Le 16 octobre 2023, l’ONG féministe Equipop et l’Institut du Genre en Géopolitique (IGG) ont publié un rapport, appelant l’Union européenne à légiférer contre ce phénomène qui prend de l’ampleur sur les réseaux sociaux. Ce rapport alerte sur le masculinisme qui est “profondément ancré dans les espaces numériques” devenus “peu accueillants et sécurisants” pour des utilisateurs féminins. Il insiste sur le masculinisme répandu dans les réseaux sociaux grand public comme “Facebook” et bien sûr “X”. Mais plus d’un an plus tard, pas de mesures ou de discours de la part de l’UE.

Pour conclure, le masculinisme est un phénomène de société avec une présence grandissante dans les mœurs américaines, particulièrement après la réélection de Donald Trump à la maison blanche, prônant une des versions les plus virulentes de l’antiféminisme et une domination masculine de la société. Les masculinistes s’expriment par des canaux divers : par la voix de personnalités comme Nick Fuentes ou Andrew Tate comme d’associations, de groupes de paroles mais les réseaux sociaux restent le principal moyen d’exprimer ces opinions, poussées vers le devant de la scène par la version américaine de la liberté d’expression. Dans ces temps instables, à nous de nous demander quel est notre rôle en tant qu’utilisateurs de réseaux sociaux outre-atlantique sur cette poussée de masculinisme et si l’UE ne devrait pas agir contre les discours masculinistes en ligne.

Zoé Proton / S6FRE / EEB1 Uccle

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