Le bégaiement, un trouble de la parole peu reconnu

Dans notre société, certains troubles sont mis dans l’ombre, comme le trouble borderline, les troubles anxieux, les troubles alimentaires, mais il existe aussi des troubles de la parole, qui sont beaucoup plus fréquents que l’on pense, par exemple le bégaiement. Le bégaiement est un trouble de la parole qui se caractérise par des répétitions, des blocages, des allongements de sons et des syllabes non volontaires (ex : B-B-B-ooooooo-n-j-j-j-our). 

Selon le site « Le Portail du Bégaiement », ce trouble touche environ 55 millions de gens dans le monde, 3 hommes pour 1 femme. Il peut être transmis génétiquement dans la famille, ou il va naître après un traumatisme vécu. Le bégaiement peut apparaître de l’âge 6 mois à 7 ans. Quand le bégaiement va être rapidement pris en charge par un logopède, il y a des chances qu’il disparaisse, ou juste il disparaitra avec le temps, souvent en devenant adulte. Mais il y a aussi un autre type de bégaiement qui restera toute la vie, mais diminuera ou augmentera en intensité. Le bégaiement peut être traité avec des méthodes qui vont rendre la parole plus fluide.

Comment le bégaiement est-il perçu à l’école ?

Un prof de l’École Européenne de Bruxelles 1 et des élèves ont témoigné sur le fait d’avoir dans son entourage un camarade ou un élève qui bégaient. Connaissaient-ils ce trouble avant d’y être confronté en milieu scolaire ou pas du tout ?      

La première personne qui a été interviewée est un professeur, qui nous explique que la thématique du bégaiement n’est pas une chose inconnue pour lui. Il a déjà eu un élève qui bégayait, il a donc déjà été confronté à ce type de difficultés. Selon lui, chez les professeurs, les gens savent globalement ce que c’est, mais la question va plus se poser de savoir comment gérer un élève qui souffre de ce trouble. Il explique que, dans cette situation, il essaye d’être le plus bienveillant possible, en empêchant les moqueries ou les remarques de la part des camarades de classe, et en valorisant plus les efforts qui sont faits à l’oral, plutôt que de pénaliser la manière de s’exprimer. Pour ce professeur, le bégaiement ne doit absolument pas être pénalisé pendant une épreuve orale.

Du côté des élèves, l’un deux dit qu’avant de connaitre un camarade qui bégaie, il ne connaissait pas ce trouble. Il l’a vu dans le fameux film « Le discours d’un roi », au théâtre où l’un des personnages jouait un bègue, mais c’est tout. Il explique qu’après avoir rencontré une personne qui bégaie, en aucun cas il n’a été gêné ou mal à l’aise.

L’autre élève explique qu’il est dans un entourage avec une personne qui bégaie depuis l’enfance. Cela a toujours été pour lui une chose qui faisait partie de son quotidien et cela ne le choque pas du tout. Les deux camarades confirment qu’ils ont essayé de toujours écouter la personne et d’être bienveillants envers elle.

Le trouble vécu par les personnes concernées

Le vécu du bégaiement ne peut pas être généralisé. Chaque personne concernée va le vivre différemment à sa manière. En ce qui me concerne, je suis plus tôt chanceuse, je suis dans un entourage où mon bégaiement est généralement accepté. Bien sûr, il y a des situations peu agréables comme des cours où tu ne lis jamais, des moqueries des adultes et des enfants, le fait de devoir expliquer une chose plusieurs fois parce que la personne ne t’a pas comprise (et en la réexpliquant, tu bégaies encore plus), enfant tu récitais les poèmes hors de la classe ou tes répliques des petits spectacles en primaire ne faisaient que deux lignes… La gêne qui est provoquée à chaque fois quand tu bégayes devant une nouvelle personne. Le fait d’être tout le temps interrompu et non-écouté. Remarquer après une journée compliquée qu’on n’a pu dire aucun mot, ni une blague, ni raconter une histoire, ou juste s’exprimer.        

Je rappelle que le bégaiement est très fatigant physiquement. Après une journée où j’ai beaucoup parlé et où j’ai souvent bégayé, je vais avoir mal à la gorge, au ventre, être plus fatiguée parce que les blocages que provoque le bégaiement parfois sont tellement forts que mon corps va se serrer très souvent et après provoquer des douleurs. Quand parfois je parle, souvent je n’ai plus de souffle, à force de vouloir parler de façon fluide et de forcer.

Un garçon de 17 ans explique que la prise de parole est pour lui à chaque fois un défi. S’acheter un billet, demander une deuxième chaussure dans un magasin, commander à manger, ce sont de grandes épreuves de son quotidien. Il a vécu un harcèlement très sévère en primaire et en collège. On l’a traité d’incapable, on imitait son bégaiement d’une manière très ironique. Le garçon, à cause de ce harcèlement, a dû changer trois fois d’école. Après de multiples années passées en logopédie, il a l’espoir que son bégaiement un jour disparaitra.

Une fille de 19 ans témoigne qu’elle n’aime pas son bégaiement, elle sait que, s’il n’avait pas été là, sa confiance en elle aurait été beaucoup plus grande.

Il y a aussi des personnes qui ont bégayé pendant leur enfance/adolescence, et, avec le temps, leur trouble a juste disparu. Par exemple, c’est le cas de gens connus comme Samuel L. Jackson, Ed Sheeran, Isaac Newton ou même Marilyn Monroe.

« On n’a jamais une parole fluide et parfaite. »

Candice Berndt est logopède, spécialisée en bégaiement, mais aussi en dyslexie / dysorthographie, en retard de langage / parole et en orofacial myofonctionnel (un trouble qui se caractérise avec des difficultés ou un mauvais fonctionnement musculaire de la mâchoire, de la langue, des lèvres et du visage). Elle possède son propre cabinet à Bruxelles.

C’est quoi pour vous le bégaiement et comment le percevez-vous ?

Pour moi, le bégaiement est un trouble de la parole, qui est caractérisé par des diffluences, qui sont nombreuses et répétées. Des diffluences, on en fait tous, on n’a jamais une parole qui est fluide et parfaite, la mienne ne l’est pas, par exemple. En général, la personne qui a un bégaiement va avoir tendance à vouloir parler rapidement, ce qui va aggraver les diffluences. Il a aussi des contextes d’apparition du bégaiement, parfois un moment plus stressant, la personne va avoir plus de difficultés à parler de façon fluide, mais pas toujours, ça dépend vraiment des personnes.

Pour moi une personne qui bégaie est une personne parfaitement imparfaite, comme on l’est tous, mais le bégaiement représente un handicap pour la personne qui se voit et s’entend.

Par quoi se caractérise le travail avec une personne qui bégaye ? Comment allez-vous approcher la personne ? Est-ce qu’il y a différentes manières ?

Tous les thérapeutes sont différents, et nous avons tous nos propres approches. Moi, ma manière de voir les choses et de les faire, c’est qu’il y a deux méthodes : la première où le patient et moi, on va agir sur le bégaiement. Et à ce moment-là, on va devoir prendre le contrôle dessus. Pour moi, c’est très intéressant, mais dans des situations particulières. Ces techniques-là (parler en prolongeant les syllabes, les pauses, les articulations douces, etc.) sont très importantes, et elles ont pour but d’aider la personne à parler plus fluidement, mais il faut être conscient que ça demande un effort important pour les appliquer. On ne peut pas être constamment dans le contrôle, c’est impossible de l’être 24h sur 24h, ce n’est pas possible, ce n’est pas humain et ce n’est pas agréable.

La deuxième méthode est celle où on va demander au patient de se détacher du regard des autres, du bégaiement et finalement de lâcher prise sur le bégaiement. C’est très difficile aussi, parce qu’on va demander au patient d’encore plus bégayer, pour justement atteindre un niveau de bégaiement inférieur. Je ne commence jamais par la deuxième méthode, parce que la première chose dont a envie le patient, c’est de moins bégayer et non pas de bégayer davantage.

Parmi les logopèdes, y en a-t-il beaucoup qui sont spécialisés dans le bégaiement ?

Le problème, c’est qu’on n’est pas assez. On est trop peu nombreux par apport aux demandes. Il y a énormément de demandes, surtout chez les petits, mais j’ai aussi pas mal d’adultes. C’est déjà vrai à Bruxelles et je n’ose pas imaginer dans les régions où il y a moins de logopèdes

Pourquoi ce déficit ?

Pour moi, maîtriser cette pratique a été une des plus difficiles, pour que je me sente à l’aise avec la méthode. Bien sûr maintenant ça va,mais il m’a fallu beaucoup de temps, parce que les attentes du patient sont tellement élevées, puisqu’il est dans une souffrance telle qu’il a besoin d’aide, que ça met une grande pression sur la thérapeute. Au même titre que sur les parents qui sont complétement désemparés avec leur enfant qui bégaie. On a envie de les aider. On a envie que l’enfant ait une parole la plus fluide possible, mais le bégaiement n’est pas un trouble qu’on peut faire disparaitre après trois séances. On a alors tendance à se mettre une pression très importante. C’est du cas par cas et je pense qu’au début, on a très peur de mal faire et je pense que ça fait peur aux logopèdes… Et en plus, il y a beaucoup de formation à faire.

Pour conclure, le bégaiement est un trouble qui va être présent dans la vie de la personne, mais il est important de souligner qu’il ne doit pas caractériser la personne. La parole ne doit pas définir quelqu’un. Beaucoup d’enfants qui bégayent ne vont pas le savoir, jusqu’au moment où quelqu’un va leur faire une remarque désobligeante. Il faut commencer à normaliser le bégaiement en sachant que c’est une chose commune, personne ne parle parfaitement, tout le monde a déjà bégayé en parlant parfois trop rapidement, ou en parlant avec une personne qu’on aime bien, ou en faisant une présentation devant la classe. Mais il y a quelques personnes pour qui ça arrive un peu plus souvent, il faut les écouter, et les respecter. 

Zofia Dymek (S6PL) / EEB1 Uccle

Sources :

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/04/21/begaiement-les-nouvelles-voies-de-la-recherche_4404886_1650684.html
http://scraly.free.fr/stats.php

https://sante.journaldesfemmes.fr/fiches-maladies/2700093-begaiement-definition-causes-techniques-pour-l-arreter-traitement/ https://www.youtube.com/watch?v=zfBJ8HrMZUI

5 pensées sur “Le bégaiement, un trouble de la parole peu reconnu

  • 17 février 2022 à 14 h 51 min
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    merci beaucoup pour cet article super intéressant! je trouve ça courageux de ta part d’en parler et de braver cette censure qui est poussée sur les personnes qui bégaient. bravo!!

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  • 17 février 2022 à 15 h 31 min
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    Super Zofia, vraiment interesant et inspirant

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  • 17 février 2022 à 18 h 04 min
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    Merci Zofia pour cet article bien écrit et bien documenté. Au plaisir de vous lire de nouveau!

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  • 7 mars 2023 à 13 h 54 min
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    Bravo et merci pour cet article très éclairant !

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