Le Wokisme, sujet politique qui divise la société
Ce terme de wokisme, utilisé par la première fois dans une chanson d’Erykah Badu parue en 2008, intitulée « Master Teacher », désigne aujourd’hui une hypersensibilité aux injustices sociales, à la discrimination, au racisme, au patriarcat, aux stéréotypes de genres et à tout un tas d’autres rapport de domination réel ou supposé. Être woke, c’est être éveillé, conscient, engagé contre ce mal qui règne sur terre, causé apparemment majoritairement par l’homme blanc. Cette révolution culturelle et politique a sans surprise sa source dans les universités Etats-Uniennes, mais se répand aujourd’hui aussi en Europe et surtout en France.
Il faut tout d’abord insister sur l’ambivalence et cette notion de culture woke ou culture conscientisée en français. D’un côté, elle désigne un ensemble de combats aux pensées assez nobles comme la lutte pour le droit des femmes, des homosexuels ou encore contre le racisme. Mais ce terme a été tellement tourné en dérision, même par des personnalités généralement considérées comme progressistes comme Barack Obama, qu’il a aujourd’hui une connotation péjorative, et en est presque devenu une insulte. Il désignerait une personne qui ne voit les choses que tout en blanc ou tout en noir, et qui a donc une vision manichéenne. Mais comment cette révolution a-t-elle aujourd’hui perdu toute crédibilité auprès de l’opinion publique ? Ou tout simplement pourquoi est-elle devenue aussi répandue ?
Le débat, la grande victime du wokisme
Le problème avec les opinions radicales qu’ont les activistes woke est que ce sont des prises de position qui ne font aucune concession, qui ne laissent aucune marge de changement ou de mise en doute. Des idées souvent peu développées mais très tranchées. Cela empêche tout débat, et mène inévitablement à une radicalisation des partisans de ces opinions. Une autre chose qui pose problème avec ces idées unilatérales, c’est qu’elles sont souvent bien vues et/ou synonymes de progrès. Il est extrêmement difficile de débattre avec une personne conscientisée et qui pense d’emblée détenir la vérité. Une vérité qui est pour lui le bien absolu. Sur ce sujet, la philosophe et politologue Hannah Arendt s’est déjà prononcée : « Le bien absolu est à peine moins dangereux que le mal absolu, car on ne discute pas avec le bien absolu. »
C’est sur ce point justement qu’il est important de s’arrêter. Le développement d’opinion passe tout d’abord par le débat, le débat avec la partie adverse. Le débat qui mène ensuite à une réflexion, qui finalement est suivie éventuellement par un changement d’opinion. Mais ce qui se passe aujourd’hui sur la place publique, c’est-à-dire sur les réseaux sociaux, c’est que ce débat est souvent stoppé net par la cancel culture (l’annulation en français) ou tout simplement par le fait que plus personne n’engage le débat de peur de se faire lyncher sur les réseaux sociaux. Il est difficile d’un point de vue public de contredire une personne qui prône l’égalité des sexes, car en la contredisant ou en n’adhérant pas à ses idées, vous passerez donc pour un sexiste, ce qui n’est pas forcément le cas.
Une idéologie à l’influence grandissante
Le plus paradoxal, c’est que dans la majorité des cas, il est possible que beaucoup de gens ne soient pas d’accord avec les idées prônées par les wokistes. Mais étant donné que personne n’ose les contredire pour des raisons d’image et de réputation, ces idées à l’allure progressiste se répandent comme des petits pains et empoisonnent le débat politique réel.
Ce genre de comportement a déjà été étudié par le chercheur Timur Kuran qui, dans son livre Vérités privées, mensonges publics : les conséquences sociales de la falsification des préférences (1997), développe l’idée de la falsification des préférences face à la pression sociale. Ce mécanisme permettrait à une minorité d’accéder à un pouvoir ou du moins à exercer une grande influence en imposant une hypocrisie générale. Car pour se conformer à ce qui apparaît socialement acceptable dans le domaine politique et public, la majorité adhèrerait à des idées différentes des siennes, pourtant réelles et profondes.
Ce mécanisme fonctionne d’autant mieux qu’il arrive dans une période de vide politique. Où les partis traditionnels perdent en ampleur et où l’abstention aux élections présidentielle et régionale est en baisse. Tous ces facteurs combinés permettent à cette pseudo révolution progressiste de proliférer et d’occuper maintenant tous les débats. C’en est devenu l’éléphant dans la pièce. Le pire dans tout cela, c’est que certains partis, souvent de gauche, ont repris cette idéologie, ce qui met les questions raciales et de genre au centre des discussions politiques. Cette reprise du débat colonial ou du débat sur la race est pour la droite du pain bénit. Et c’est ainsi qu’une idéologie créée de toutes pièces par de simples étudiants américains vient perturber la politique et potentiellement influencer le peu d’électeurs modérés qu’il restait encore.
Un mouvement encore naissant
Un problème encore plus flagrant est que ce mouvement se donne pour but de mettre en lumière les inégalités réelles, mais en réalité, il a tendance à placer tout sur le même plan : ces problèmes que le wokisme dénonce sont-ils comparables ? Est-il juste de mettre au même niveau l’injustice que subit un personne racisée habitant dans les banlieues et l’homosexuel « bobo » vivant dans un quartier chic de Paris ?
Un dérivé possible de ce genre d’idéologie et de cette façon de faire est que l’on peut se retrouver dans une société totalitaire, sans même que l’on se rende compte. Où il n’est plus permis de dire ce que l’on veut pour cause du politiquement correct, où il n’y pas d’opposition car contredire quelqu’un qui défend le bien signifierait forcément faire le mal. Une société où les jugements ne se font plus dans des tribunaux mais sur les réseaux sociaux. Une vie dominée par la peur, la peur de ne pas se conformer aux autres et aux normes sociales.
Bien que cela semble impossible, il suffit de voir ce qu’il se passe en France sur le campus de l’IEP de Grenoble ou encore à Science Po Paris. Le cas le plus extrême serait peut-être l’université d’Evergreen dans l’état de Washington, où les élèves ont littéralement pris le pouvoir. Car il est aujourd’hui devenu normal de placarder le nom de professeurs avec lesquels on n’est pas d’accord. De les traiter de tous les mots pour ensuite les exposer sur internet où les gens, sans y réfléchir à deux fois, les menacent de mort. Il est malheureusement souvent trop tard avant qu’on se rende compte de la proportion que les choses ont prise.
Jan Doktorič (S6FRA) / EEB1 Uccle
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abstention_%C3%A9lectorale_en_France courrier international sep. 2020 et dec. 2021
Bravo d’avoir esquivé la polémique !
On était a deux doigt !
je suis tellement d’accord avec toi. ton article dénonce bien les faits!!
(si je pouvais le liker, je l’aurais fait)