Vinted ou la nouvelle ère du « seconde main »

Qui ne connait pas Vinted, la célèbre plateforme d’achat et revente en ligne aux plus de 50 millions d’utilisateurs à travers le monde ? Vinted est un marché en ligne communautaire permettant de vendre, d’acheter des vêtements et autres accessoires d’occasion. L’application lituanienne était d’abord dédiée uniquement à la vente de vêtements pour femmes mais il est maintenant possible d’élargir la recherche et d’acheter des vêtements d’hommes ou de bébé ou encore des accessoires tels que des bijoux ou des sacs à main voire à présent du mobilier, des livres ou des appareils électroménagers. Les fondateurs comme les investisseurs promettent des miracles grâce à leurs services : une consommation et économie collaborative, de la seconde main accessible en un clic mais aussi un coût écologique minime et la fin de la “fast fashion”. La “fast fashion” ou mode éphémère est un segment de l’industrie vestimentaire caractérisée par un renouvellement très rapide des vêtements proposés à la vente mais aussi une empreinte carbone salée avec des renouvellements plusieurs fois par saison, si ce n’est par mois. Vinted nous parait donc comme une alternative parfaite pour baisser l’empreinte carbone énergivore de nos vêtements mais l’est-ce vraiment ? Quel est le coût caché de la seconde main en ligne ?
Une introduction à Vinted
Vinted a été créé en 2008 à Vilnius, en Lituanie, par un couple originaire du pays. L’objectif était de permettre aux lituaniennes d’échanger leurs vêtements. En 2010, la compagnie s’implante en Allemagne et aux Etats-Unis mais de 2013 à 2015, cela va mal financièrement et Vinted va devoir lever des dizaines de milliers d’euros d’investissement pour relever la barre. L’investisseur anglais Insight Partners va prendre les rênes de la boite et nommer en 2016 Thomas Plantenga, un connaisseur de l’économie numérique new yorkais, à la tête de l’entreprise. L’application commence une grande campagne médiatique et publicitaire et surtout supprime la “classique” commission versée par les vendeurs sur ce type de sites d’occasion et faire régler les acheteurs, ce qui va devenir sa marque de fabrique. Le slogan caractéristique va aussi naitre à cette époque : « Tu ne le portes plus ? Vends-le ! ». L’application décolle et en 2019, 2,2 articles sont échangés chaque seconde sur l’application, le succès est fulgurant en France avec 16 millions d’utilisateurs en 2021 et 23 millions en 2024.
L’utilisation et le fonctionnement sont simples à comprendre : les vendeurs et acheteurs sont appelés “vinties” et peuvent vendre et acheter à leur guise après la création d’un compte gratuit. Le vendeur possède un “dressing” où il poste les articles qu’il souhaite vendre en décidant de ses prix et peut interagir avec de potentiels acheteurs. Un service payant est aussi proposé depuis le 16 octobre 2023 pour authentifier les produits de grandes marques et éviter les contrefaçons.
Accusation d’encouragement à la surconsommation

Une première critique de ce paradis de l’économie collaborative est l’incitation à la surconsommation. En effet, selon Alma Dufour, chargée de campagne extraction et surconsommation chez les Amis de la Terre France., “Vinted encourage la rotation rapide de modèles, en grande partie issus de la fast fashion, en conférant du pouvoir d’achat aux consommateurs, qui revendent facilement des produits pour en racheter d’autres”. De nombreux utilisateurs témoignent acheter des pièces dont ils n’ont pas besoin, phénomène encouragé par le caractère ludique de l’application, le geste d’achat est si simple que l’on est tenté d’ouvrir l’application même sans besoin particulier. Les notifications récurrentes de l’application nous encouragent aussi à s’y rendre plusieurs fois par jour. Finalement, on perd le principe de la seconde main vu que Vinted servirait, surtout aux plus jeunes générations, de stratégie de renouvellement de leurs vêtements plus qu’une alternative écologique durable. Même pour des vêtements d’occasion, la question “est ce que j’en ai réellement besoin ?” doit rester d’actualité.
Une application si verte ?
Acheter de seconde main est perçu comme un geste écoresponsable. Le principe de l’alternative écologique à acheter neuf est omniprésent sur Vinted et le leader européen de seconde main n’hésite pas à mettre en avant des chiffres impressionnants : pour 2.56 pièces achetées sur Vinted ; c’est l’achat d’une pièce neuve qui est évitée, ce qui équivaut à 1.8kg de dioxyde de carbone () économisé. Selon une enquête lancée par le groupe en 2023, c’est 457 kilotonnes du gaz à effet de serre ou 3.6 kilomètres en voiture dont Vinted aurait évité l’émission. Mais ces chiffres résument-ils vraiment l’impact écologique de ces services ? Oui et non. Nous pouvons imaginer qu’avec deux articles échangés par seconde sur l’application, il doit y avoir un nombre exhaustif de colis individuels transitant sur les routes qui ont, bien sûr, une empreinte carbone.
Elodie Juge, ingénieure recherche pour la chair Trend(s) à l’université de Lille, affirme que « c’est toujours plus de vêtements, mais aussi toujours plus de kilomètres de transport ». Un autre problème soulevé pourrait être les emballages des colis et donc l’apparition de déchets mais malgré ces problèmes, les chiffres ne peuvent être ignorés et d’autres chiffres compensent, comme le fait que la grande majorité (73 %) des colis sont récupérés en point relais, non à domicile, et du côté des vendeurs, près des deux tiers (62 %) déclarent avoir réutilisé des emballages.
Le rôle des associations solidaires et la quête du profit

Une dernière critique de Vinted porte sur la marchandisation d’un certain nombre d’articles destinés traditionnellement aux dons. On reproche à l’application de dissuader les utilisateurs de donner leurs affaires afin de privilégier du profit personnel plutôt qu’aider des personnes dans le besoin. Des associations comme Emmaüs France ont vu leur nombre de dons baisser progressivement et ont même lancé une campagne de communication détournant le slogan de Vinted : “Si tu ne le portes plus, vends le!” en “Si tu ne le portes plus, donne-le!”. L’association estime qu’avant le succès de Vinted, 60% des objets donnés chaque année étaient propres à la vente contre 40% en 2023. Contre ces accusations, Thomas Platenga se défend en affirmant que “depuis toujours, plusieurs modes de remise en circulation des articles coexistent, il y a de la place pour toutes les initiatives”.
Pour conclure, chacun peut se forger son opinion sur l’application leader de la seconde main européenne : ses avantages peuvent être glorifiés facilement mais il faut tenir compte des critiques sur la surconsommation ou l’impact écologique ou encore la quête du profit. Les avis divergent mais il faut rester conscient en achetant que même la seconde main n’est pas parfaite et que la question du besoin reste d’actualité même sur une application aussi ludique que Vinted.
Zoé Proton / S6FRE / EEB1 Uccle